Lilian Thuram, champion du monde en 1998 avec l’équipe de France, est un lutteur contre le racisme. Président de la Fondation Éducation contre le racisme, il est présent au SILA 2023 avec deux ouvrages percutants : « Mes étoiles noires de Lucy à Barack Obama » (éd. Barzakh) et « La Pensée blanche » (éd. APIC). Thuram a été fait docteur honoris causa en sciences humaines des universités de Stockholm en 2017 et de Stirling en 2019 pour ses actions antiracistes.
Dans cet entretien exclusif accordé à 24H Algérie, Lilian Thuram explique son engagement dans la lutte contre le racisme, aborde le rôle du sport, ainsi que l’importance des débats sur des questions cruciales qui touchent aujourd’hui toutes les sociétés.
24 Algérie : Pourquoi vous avez décidé de vous impliquer dans la lutte antiraciste et quel a été l’éléments déclencheur ?
Lilian Thuram :
Je dirai que c’est l’histoire d’une vie. Moi, je suis né en Guadeloupe, je suis arrivé à l’âge de neuf ans à Paris et dans cette classe de CM2 il y a des enfants qui m’ont insulté en me traitant de « sale noir ». C’est donc à ce moment que j’ai commencé à me questionner pour savoir pourquoi on me traitait de sale noir ? Cela voulait dire aussi que ces enfants-là se pensaient supérieurs à moi parce qu’ils étaient blancs, pourquoi ? d’où cela venait-il ? Et tout au long de mon adolescence et de jeune adulte je me suis posé des questions, j’ai eu la chance de lire des livres, de rencontrer des personnes qui m’ont éduqué
et j’ai fini par comprendre que c’était lié à l’Histoire. Et donc, lorsque j’ai été joueur de football, souvent on me posait des questions, j’y répondais, et lorsque j’ai été joueur à Barcelone en 2008, j’ai décidé de créer cette fondation pour qu’on puisse banaliser ces questionnements, ces interrogations, savoir pourquoi il y a la hiérarchie selon la couleur, le genre ou la sexualité. Et donc pour moi, c’est avant tout une volonté de plus de justice et d’égalité dans la société.
Le sport peut-il être un vecteur de changement social, notamment dans la lutte contre le racisme ?
Je dirais surtout qu’il peut l’être dans la lutte pour l’égalité. Bien évidemment le football, notamment le football professionnel, parce que c’est le sport numéro UN dans le monde, donc les joueurs de football, les clubs, les dirigeants peuvent effectivement faire changer la société positivement.
Parlez nous de votre livre « Mes étoiles noires : de Lucy à Barack Obama ». Pourquoi avez-vous fait ces portraits ?
Lorsque j’ai été joueur de football, très souvent les enfants me demandaient de signer des
autographes et je le faisais avec plaisir. Par contre, je leur disais « j’aimerais vous poser une question : la première fois que vous avez entendu parler de l’histoire des populations noires c’était quand ? ». Et souvent, un peu gênés, ils me répondaient en parlant de l’esclavage. Et donc l’idée de ce livre est de montrer des hommes, des femmes qui racontent l’histoire de
notre point de vue et qui permettent d’enrichir l’imaginaire collectif parce qu’encore une fois, je pense que si toute une population pense que l’histoire des populations noires commence avec l’esclavage, c’est tout à fait normal qu’il aient des préjugés négatifs sur les ces personnes noires et ça met en place quelque chose de très simple : si les noirs ont été
des esclaves, les maîtres étaient des blancs et donc on voit bien que dans l’inconscient collectif ça peut arriver d’avoir des préjugés extrêmement négatifs sur les personnes noires.
A votre avis ce livre a-t-il contribué à la sensibilisation du public à la question raciale ?
Oui, tout d’abord le livre a très bien fonctionné en France. Le livre a été traduit en plusieurs langues et très souvent il y a des personnes qui me disent que ce livre-là leur a fait beaucoup de bien.
Dans votre essai « La pensée blanche», vous rappelez l’existence du code noir. Pourquoi cette référence à un texte datant de 1685 et comment peut-il avoir encore un impact à ce jour ?
Je remonte en fait à avant 1685. Pour moi , « La pensée blanche » montre comment on a construit une hiérarchie entre les personnes selon leur couleur de peau et comment on a établi ces catégories. C’est-à-dire que la racisme est avant tout une construction politique pour pouvoir exploiter certaines personnes. Et je crois que si on veut comprendre le racisme
qui existe que ce soit en France ou même ici en Algérie, il faut connaître l’Histoire et il faut comprendre comment effectivement, pendant des siècles et encore aujourd’hui, on fait en sorte de construire une image négative pour les personnes qui auraient la couleur de peau foncée.
15 ans après la création de votre fondation, Éducation contre le racisme, quels objectifs pensez-vous avoir atteint à travers les actions initiées ?
Je pense que c’est très important de faire le lien entre racisme, sexisme et homophobie et nous devons nous questionner sur nos propres préjugés pour construire une société où il y aurait plus d’égalité. Il est également important d’en débattre et lorsque ces débats-là existent dans un pays, c’est un bon signe. En France, en Italie et dans bien d’autres pays, certains ont tendance à ne pas vouloir discuter de ces sujets. Moi, je viens des Antilles, la grande majorité des personnes sont de couleur noire et pourtant le racisme existe là-bas.
Je ne connais pas très bien l’Algérie mais je suis persuadé qu’ici aussi, il y a une hiérarchie selon la couleur de la peau mais aussi selon le genre. Le plus important est d’en discuter et d’avoir conscience de ces problématiques-là.
Vous avez été un footballeur de haut niveau quel est votre regard sur le football aujourd’hui ?
Je suis un passionné de football, j’aime le foot et donc je regarde évidemment certains matchs. Rien de plus.
Ne pensez-vous pas qu’il y a trop d’argent dans le football ?
Mais vous savez que le football, encore une fois, est à l’image de la société dans laquelle nous vivons. C’est-à-dire que le football aussi vend ce système économique et ce qui est très intéressant lorsqu’on analyse l’argent dans le football, on voit qu’il y a de plus en plus de différences entre les clubs très très riches et les autres. Et malheureusement dans la société
c’est la même chose. Ce qui est aussi important dans le football est qu’on dit souvent que ce sont les plus forts qui gagnent et on oublie de préciser que ce sont les plus riches qui gagnent. Mais le football reste globalement à l’image de la société dans laquelle nous vivons. Avec effectivement, ces différences de moyens financiers.
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Vos enfants sont des footballeurs professionnels. Sont-ils venus au football naturellement ou les avez-vous encouragé dans cette voie ?
Je pense que lorsque vous êtes parents, il faut accompagner vos enfants dans ce qu’ils aiment. J’ai trouvé qu’ils aimaient le football et qu’ils en avaient la passion et j’ai fait ce qu’il fallait.
Le peuple palestinien souffre aujourd’hui énormément dans l’indifférence la plus totale de la communauté internationale, est ce que cela vous interpelle et ne pensez-vous pas que cela aussi est une forme de racisme ?
Pour moi, il est important de répondre à cette question quand je serai en France.