L’actrice française d’origine algéro-palestinienne Lina Soualem a présenté, mercredi 8 décembre, à la cinémathèque d’Alger, son premier documentaire, « Leur Algérie », projeté en avant-première nationale.
« Leur Algérie » est un film intimiste qui plonge dans l’histoire de la famille depuis l’arrivée des grands parents de la réalisatrice, Mabrouk et Aicha Soualem , en Auvergne, au centre de la France, en 1954, l’année même du déclenchement de la guerre de libération nationale en Algérie.
Mabrouk Soualem, natif de Laaoumer, dans la région de Sétif, a travaillé toute sa vie comme polisseur dans une coutellerie, à Thiers (450 km au sud de Paris). Dans cette localité du Puy de Dôme sont fabriqués plus de la moitié des couteaux de table, de cuisine, de bouchers et de poche utilisés en France actuellement.
Séparés après 62 ans de mariage
Aicha est restée femme au foyer élevant notamment Zineddine, comédien, père de Lina. Zinedine est le troisième personnage du documentaire de Lina Soualem. Il sert presque de trait d’union entre Mabrouk et Aicha, séparés après 62 ans de mariage. Il représente une génération intermédiaire.
Malgré la séparation physique, Aicha a continué de préparer le repas chaque jour à son ex-époux, un homme silencieux qui passe ses journées assis dans un centre commercial, et qui habite à quelques mètres d’elle.
Lina Soualem a tenté de comprendre ce que cache ce silence. Est-ce celui de la mélancolie ? De la colère ? « Est-ce que tu regrettes d’être venu en France ? », interroge-t-elle. Réponse du grand-père : « au commencement, oui. Celui qui part en France, ne retourne pas ».
« Derrière ce silence, j’ai découvert une douleur vive. Une douleur qui a duré toute une vie, celle du déracinement », a confié plus tard Lina Soualem.
« J’aurai voulu transmettre à mes enfants, la culture algérienne… »
Aicha parle, échange, rit, pleure parfois, raconte des petits secrets, prend un grand plaisir à préparer le couscous à son fils, fait des confidences : « J’aurai voulu transmettre à mes enfants, la culture algérienne, la religion, la politesse, enfin tout quoi, je n’ai pas osé ». Réponse de Zinedine Soualem : « mais, nous, on est bien élevé ».
Zinedine Soualem, naturalisé français à 28 ans, n’a pas amené ses deux filles visiter l’Algérie lorsqu’elles étaient enfants. Son argument : « pas besoin d’aller en Algérie pour être algérien ».
« Capturer la mémoire »
Mabrouk se contente lui de quelques phrases, répond à peine à sa petite fille, regarde toujours ailleurs, pensif et mystérieux. Il revoit les photos de ses parents mais cela ne lui évoque presque rien. Dans son esprit, l’Algérie qu’il avait connue jeune, sous occupation française, est une lointaine contrée, mais, il est heureux, et bien heureux, de découvrir que sa petite fille est partie dans son village natal, lui ramener des « traces » de vie. Son village existe toujours !
Aïcha et Mabrouk ne sont pas retournés en Algérie mais se sentent profondément algériens. Lina Soualem a pris le risque de filmer, capter le son et monter son documentaire, son premier. Résultat, il n’y a parfois pas assez de distance par rapport à ses personnages malgré son regard tendre.
Elle est tellement collée à eux qu’elle les étouffe presque intensifiant leur pudicité. Le rapprochement avec son grand-père fut pénible et cela se voit à l’écran. Elle a réussi à le faire parler, à lui faire « oublier » la présence de la caméra qui est une continuité de la réalisatrice.
« Mes grands-parents se sont séparés après 62 ans de mariage. Il y avait une urgence chez moi. Il fallait « capturer » leur mémoire. J’avais la crainte qu’ils disparaissent sans me transmettre leur mémoire. C’était vital pour moi, je me suis rendue compte que je ne connaissais rien de leur histoire intime, de leur histoire d’exil de l’Algérie à la France », a-t-elle déclaré lors du débat qui a suivi la projection.
Les ouvriers algériens en France, ces oubliés
Le film repose aussi le débat sur la migration économique, sur l’arrivée d’ouvriers algériens en France dans les années 1950-1960. Le cinéma français, algérien aussi, s’est rarement intéressé à ces milliers d’ouvriers venus « faire tourner » les usines de France à l’époque de l’après-guerre, et oubliés après.
« Je cherchais mon Algérie à travers celle de mes grands parents. Je voulais comprendre quel était leur lien par rapport à l’Algérie pour que je puisse créer ou recréer mon lien à l’Algérie », a souligné Lina Soualem.
La réalisatrice, qui a étudié l’ histoire à l’université, a découvert que la colonisation et ses effets négatifs n’étaient pas suffisamment enseignés à l’école française : « Ce n’est qu’à l’âge de vingt ans que j’ai découvert cela ».
Dans son film, elle rappelle en quelques images les massacres de 1945 dans la région de Sétif. « On m’en jamais parlé de cela. Je voulais savoir comment mes grands-parents, qui viennent de Sétif, ont été marginalisés. Ils étaient invisibles. On traite souvent de l’histoire de la migration algérienne comme une histoire étrangère à la France », a-t-elle relevé.
Lina Soualem, qui a, à son actif, un très court métrage de 3 minutes sur son quartier à Paris (11ème arrondissement), envisage de filmer l’histoire de sa mère, l’actrice et scénariste palestinienne Hiam Abbas. Elle a autant de films à son actif que son mari Zinedine Soualem, plus de 80 longs et courts métrages. Lina Soualem va raconter l’histoire des sept soeurs de sa mère.