Camping Dassine de Tamanrasset. Un seul guide de voyage en parle et le décrit comme «Le plus ancien camping de Tam, comme nous le rappelle le bus endormi à l’entrée qui se souvient des débuts héroïques du tourisme, porte le nom d’une poétesse du début du siècle. Les bâtiments ont été récemment rénovés ».
Cette précision d’un internaute « .. le plus ancien est le Camping des Zeribas, appelé aujourd’hui Camping Dassine, du nom de la musicienne, joueuse d’Imzad, courtisane, amie de Moussa Ag Amastane, Aménokal du Hoggar dans les années 1920 ».
Il s’agit en effet de la musicienne et poétesse targuie Dassine Oult Yemma, surnommée «Grande Sultane du désert » et « Grande Sultane d’Amour » pour ses actions pacifiques envers les tribus targuies.
Rien d’autre ? Oh que si !!!
Ce bus a fait l’objet d’une surréaliste discussion de passionnés dans des forums consacrés aux voyages dans le Sahara. Tout avait démarré par une question posée par un touriste en avril 2007 avec une photo de ce bus : « En réalité ce n’est pas un camion, mais un autobus. Quelle marque, quel modèle ? Si vous le reconnaissez, envoyez-moi un Email »! Et ce touriste de donner ces précisions : “Il mesure 7-8 mètres de long et un peu plus de 2 mètres de large. Sa carrosserie est aérodynamique. L’absence de moteur à l’emplacement prévu pour celui-ci permet de repérer trois éléments importants:
- Il est à moteur avant
- Il est construit sur un châssis à longerons
- Il est à deux roues motrices à l’arrière puisque l’avant est équipé d’un essieu rigide non motorisé. Et on peut supposer qu’il a entre 20 et 30 places »
Sa question est restée sans réponse jusqu’en décembre 2009, quand un autre touriste qui aura fait le déplacement jusqu’à Tamanrasset, lui répondit, avec photos à l’appui :
« Suite à notre conversation de ce soir, voici les photos …et la preuve que l’autocar mystérieux, parqué dans la cour d’un camping à Tam, est bien un Lancia…tu peux le vérifier en retournant les deux photos des moyeux de l’engin…c’est probablement une prise de guerre en 1942/43 sur les italiens qui étaient juste à coté dans le Fezzan !! mais de là à affirmer qu’il parcourait la ligne Alger-Niamey ..il y a un pas…. difficile à franchir mais possible…seules les archives de la compagnie transsaharienne pourraient nous renseigner sur ce point..sinon, ce Lancia a tout simplement servi de bus à Tam, mais cela m’étonnerait car la marque avait une excellente réputation de solidité…les gars du LDRG utilisaient largement des camions Lancia prises de guerre pour leurs convois de ravitaillement Wadi-Halfa-Koufrah en 1942. Amitiés. Jean-Pierre ».
Ce à quoi un autre intervenant lui répondit « Il suffisait de gratter le moyeu, couvert de graisse et de sable. Et Jean Pierre l’a fait ! »
Suit alors une très intéressante discussion sur la marque de ce fameux camion appuyée par des photos, des références techniques, historiques et même sociales sur les transports en Algérie dans les années 30. Les avis étaient partagés entre ceux qui soutenaient que ce bus est de marque Renault, alors que d’autres étaient persuadés qu’il s’agit d’une marque italienne Lancia.
Ce qui m’a surpris dans toute cette histoire, c’est le temps consacré par ces passionnés dans leurs recherches qui les ont conduit à évoquer le fameux « Bidon V », un des premiers relais routiers et aériens situé entre Ouallen (Algérie) et Tessalit (Mali) dans le Sahara décrit ainsi :
« En février 1926, les frères Estienne balisent la piste du Tanezrouft en enfouissant, tous les 50 km, une réserve d’eau signalée par un fût vide. Le premier bidon, au nord de Tessalit, porte le numéro 1 et la numérotation continue jusqu’au numéro 16. Le cinquième bidon, Bidon V, à mi-distance de Ouallen et Tessalit, est le relais le plus important de la piste Reggan-Gao, à 520 km de Reggan. Il devient célèbre avec son hôtel improvisé dans deux carrosseries de voitures-couchettes. Reggan est également aménagé sur la ligne d’autocars équipée de voitures-couchettes Renault 6 CV à six roues. ».
Et là aussi on publie des photos du Bidon V et de ses campements. Dans leur « enquête », ces passionnés ont interrogé les « meilleurs spécialistes des poids lourds : la revue « Charge Utile », le forum du « Camion Club de France », et d’autres, à Explo 4×4 ». Et les contributions des uns et des autres à la résolution de cette énigme sont stupéfiantes.
Mais ce qui a retenu mon attention c’est l’absence des algériens en particulier des habitants de la région dans ce débat qui a commencé en 2007 et qui se poursuit encore dans les sites spécialisés.
Un bus abandonné dans un camping de Tamanrasset qui suscite autant d’intérêt des rares touristes qui visitent cette région, mais relayé aussi passionnément sur la toile, devrait à lui seul attirer l’attention des autorités locales. Occasion en or pour décrire les transports sahariens liés à cette époque, des marchandises comme des voyageurs. Mais pas que…
Le nom du camping lui-même mérite qu’on s’y arrête. Parce que l’histoire de Dassine Oult Yemma et sa relation avec Moussa Ag Amastan est aussi belle que celle du bus ou de l’histoire de Hizia et Sayed. En 1889, Moussa décrivit ainsi sa belle aimée :
Dassine est la lune. Son cou est plus beau que celui d’un poulain
Attaché dans un champ d’orge et de blé en avril.
Dieu l’a créée en parfaite,
il lui a accordé de jouir du respect et d’un amour universels.
Quand elle se farde d’indigo et d’ocre jaune, son teint est si beau,
Dieu la voit s’avancer tête haute et fière parmi les hommes ;
(…)
Tandis qu’elle joue du violon et élève gaiement la voix.
Dans un autre poème, il lui écrivait :
« On dit que nous sommes trois à te plaire, sans que tu saches encore celui que tu préfères : si c’est Saori pour sa constance, Aflan pour sa richesse, ou moi pour ma poésie. Lequel triomphera de ton cœur, ô Dassine, des troupeaux, de l’orgueil ou du feu ? ».
Dassine choisit en définitive Afélan !
Toutes ces belles histoires de notre patrimoine culturel, historique et touristique méritent d’être connues. De nombreux textes concernant la préservation du patrimoine culturel algérien existent. L’article 87 de la Loi n° 98-04 de juin 1998 relative à la protection du patrimoine culturel, rappelle qu’ « Il est institué un fonds national du patrimoine culturel pour le financement de toutes les opérations:-de sauvegarde, de conservation, de protection, de restauration, de réhabilitation et de mise en valeur des biens culturels immobiliers et mobiliers ». Ne peut-on l’activer pour ce bus particulièrement ?
Mohamed Hamidou, le nouveau ministre du Tourisme a affirmé récemment que « la nouvelle mission qui vient de lui être confiée par le Président de la République, l’incitera à ne ménager aucun effort en vue d’ériger le secteur en alternative économique pour le développement du pays ».
On le jugera sur ses actes ! Comme toujours.
Mais quand on voit la destruction presque programmée de très nombreux sites à caractère culturel de notre pays par des irresponsables, on est en droit de s’interroger sur cette déclaration convenue. Il suffit de parcourir les magnifiques carnets de voyages des internautes pour se rendre compte des pertes irréversibles de cette mémoire commune qui appartient à tous les algériens. Galhoum Machiavel « Les hommes oublient plus facilement la mort de leur père que la perte patrimoine ».