« Comme vous j’ai ma vie, j’ai mes joies et mes peines. Et de petits soucis, moi aussi, comme vous ». Ceux qui la connaissaient reconnaitront ce refrain.
Linda de Suza a quitté ce monde mercredi dernier, à 74 ans, emportée par une insuffisance respiratoire liée au Covid 19 dans un hôpital de Gisors (27). C’est son fils unique, Joao Lança, qui a annoncé le décès de sa mère sur la page facebook de la chanteuse. C’était une grande fumeuse. En quelques minutes, la nouvelle a fait le tour de pratiquement tous les médias français et portugais principalement.Je fais partie des nombreux fans de Linda.
Ses chansons, sa voix, sa simplicité ont bercé nombre d’entre nous pendant les années 70-80. Et j’ai eu la chance de la voir de près et discuter avec elle lors de sa visite à la foire de Chignat , (Vertaison, Puy-de-Dôme), où elle était invitée d’honneur, organisée en septembre 2016. Une Linda amaigrie, au visage sombre et presque mal habillée pour l’occasion. Très loin en tout cas de l’image de la belle femme à la voix d’or, à la chevelure soyeuse, et aux tenues colorées et chics et élégantes que j’avais ancré dans mon esprit.
Elle arriva sur scène à bord d’une Chevrolet décapotable qui roulait très lentement afin de permettre à la foule, dont de très nombreux portugais, de la saluer.Son show avait souffert d’une mauvaise organisation. On l’entendait à peine.Elle avait du mal à chanter et sa voix n’était plus la même. Elle lança à la foule« Vous êtes dans ma valise pour toujours. C’est votre amitié et votre amour qui me permettent de tenir debout ». Tenir debout ! C’était son credo….Les hommages à Linda furent très nombreux surtout chez les français, beaucoup moins au Portugal même si le Président Marcelo Rebelo de Sousa, lui a rendu hommage par un bref communiqué indiquant que « Linda de Suza reste dans notre mémoire comme un exemple de détermination et de loyauté. Elle était une icône française de l’immigration portugaise et, par conséquent, une icône du Portugal ».
Née à Beringel au Portugal, et installée en France depuis son plus jeune âge, Linda connaît un rapide succès au cours des années 1980 dans le pays qui l’accueille grâce à des chansons directement inspirées de l’imaginaire folklorique portugais, comme « Tiroli Tirola », ou un témoignage d’expérience d’émigration, comme « Un Portugais », devenue chanson culte de la communauté portugaise de France.Avant de venir en France, elle a travaillé dans une usine textile et comme serveuse, en périphérie de Lisbonne : « J’habitais à Amadora dans une maison préfabriquée en bois qui avait été construite par mon père. On faisait nos besoins dans un seau. Il y avait un petit ruisseau à côté et c’est là qu’on les jetait plus tard ».
Linda émigra en France en 1970, fuyant la dictature de Salazar et en quête d’une vie meilleure, traversant la frontière avec sa « valise en carton » et son fils Joao, issu d’une relation avec un voyou. C’est cette « valise en carton » qui a fini par donner le nom à son roman autobiographique, publié en 1984, à l’un de ses spectacles et même, en 1988, à une adaptation pour une série télévisée avec l’actrice grecque Irene Papas.
Linda de Suza, mère célibataire, a fait ses débuts de chanteuse au restaurant Chez Loisette, à Saint-Ouen près de Paris, où elle a été découverte par le compositeur André Pascal qui l’aurait ensuite présentée au compositeur Alex Alstone. Elle interprétait alors des chansons de la chanteuse de fado Amalia Rodrigues, cet autre icone de la musique portugaise.Elle enchaina ensuite avec sa présentation à la télévision, dans l’émission « Rendez-Vous du Dimanche », de Michel Drucker, où elle interprète la chanson « Un Portugais » dont les ventes du single lui ont valu le Disco Platine en France en 1979.
Edité chez Claude Carrere, après avoir été rejeté par la maison de disques Barclay, la chanson « Un Portugais » dans laquelle elle évoque la douleur de l’exil, mais aussi l’espoir a eu un immense succès. Deux valises en carton sur la terre de France, Un Portugais vient de quitter son Portugal, Comme tant d’autres il est venu tenter sa chance, Le Portugais qui a quitté son Portugal
Linda n’a chanté dans son pays natal qu’en 1979 et a continué de battre des records de vente dans les années 1980, publiant l’album « Amalia Lisboa » où elle chante en portugais et en français, et des singles comme « Canta Portugues », « L’Etrangère » ou « Comme Vous ».Avec « Simplement vivre », « Tu seras mon père », « Pars sans un adieu » et « Tiroli, Tirola », Linda continua ses succès dans les années 1990.La chanteuse connaît par la suite plusieurs déboires personnels et financiers, dont la presse se fait l’écho.
En 2010, elle rend publiques ses difficultés financières et accuse son compagnon de lui avoir usurpé son identité. Elle a confirmé chez Thierry Ardisson qu’elle vivait d’une retraite de femme de ménage avec 400 euros par mois et n’avait même pas de quoi acheter la nourriture à son chien.
Sa vie était loin d’être un long fleuve tranquille. Après avoir été éloignée des feux de la rampe, dans les dernières années de sa vie, elle s’est plainte à plusieurs reprises d’avoir aussi été escroquée par le monde du show-biz, ce qui aurait aggravé sa situation matérielle.Dans son livre « Des larmes d’argent » publié en 2015, l’artiste « raconte les abus de confiance dont elle a été victime par son entourage. Elle témoigne de la jalousie que suscite la gloire et des souffrances qu’elle a endurées ».
Ce que confirme Michel Drucker en déclarant qu’ « Elle était souvent dépressive, elle voyait des adversaires partout. Elle était toujours empêtrée dans des procès, des huissiers… Elle n‘était pas douée pour bonheur cette pauvre Linda. »Cela ne l’a pas empêché de revenir sur scène entre 2014 et 2017 avec plusieurs tournées en France principalement.
En 2019, Linda de Suza qui a vendu plus de 20 millions de disques et près de 5 millions de livres, a effectué une tournée en France avec le spectacle « Carte postale du Portugal », un spectacle où elle revisite quelques-uns de ses succès de carrière et présente des compositions originales aux côtés du chanteur Pedro Alves et de la chanteuse de fado Mara Pedro.
Dans une interview radio pour la promouvoir, la chanteuse a évoqué son enfance en déclarant : « Je n’ai jamais su ce qu’était un baiser de ma mère. Elle ne m’a pas élevée. J’ai été élevée dans un orphelinat de 5 à 11 ans ». Mère qu’elle invita pourtant à son concert donné à l’Olympia en 1983 : « Je n’avais pas de sentiment de vengeance. J’étais fière qu’elle soit venue me voir».
Linda de Suza a beaucoup souffert de la presse people comme de sa propre famille qui lui reprochait tantôt de mentir sur sa situation personnelle et financière, tantôt de vouloir se suicider, tantôt de simuler des évanouissements sur scène pour épuisement. Ses relations avec son fils unique ont aussi fait l’objet de ragots.
Linda n’aurait jamais supporté la relation de Joao avec son épouse Sonia, et n’aurait jamais pu jouer son rôle de grand-mère auprès de ses petits-enfants. Portant, ce fils s’est présenté à maintes reprises en première partie des concerts de sa mère avec qui il enregistre un duo « Dis-moi pourquoi » en 1989. En 2000, il sort son premier album intitulé « Nao Pares De Sonhar » – N’arrêtez pas de rêver- avant de continuer sa carrière, seul, faite de hauts et de bas.
Au sommet de sa renommée, Linda de Suza, femme pieuse dans les moments difficiles, n’a jamais renié ses origines auxquelles elle était très attachée : « J’ai fait ma carrière avec mon cœur. Pas avec mon corps (…). C’est ma foi qui m’a sauvée ».En septembre dernier, France Dimanche annonça l’hospitalisation de Linda de Suza pour des troubles psychologiques précisant qu’elle aurait même cesser de s’alimenter. Information confirmée en partie par son agent artistique qui soulignât sur le compte facebook de l’artiste : « Pour vous rassurer Linda De Suza est alitée depuis 10 jours dans un hôpital parisien. Son état de santé, fragilisé par de fortes fièvres, s’améliore. Elle est consciente et est chagrinée de ne plus vous parler régulièrement. Je lui rends visite et lui parle chaque jour car nous préparons ensemble la sortie d’un DVD à paraître en novembre chez Marianne Melodies, avec toutes ses plus belles émissions de TV. »
Son projet « Postais de Portugal » qui devait faire l’objet d’une autre tournée en 2020 a été annulé pour cause de Covid 19.Linda de Suza devait se produire à Alger les 14 et 15 octobre 1989, en pleine décennie noire.
Ces deux concerts ont été annulés « par le Centre de culture et d’information (CCI), qui les avait pourtant organisés avec bonheur puisque toutes les places étaient louées à l’avance. Les » difficultés techniques majeures » invoquées par les organisateurs n’ont convaincu personne. Les Algérois ont compris que l’organisme d’Etat, qui gère la salle Atlas (l’ancien Majestic) où devaient se dérouler les deux spectacles, a cédé aux pressions des intégristes » précisait le Monde du 16 décembre 1989.
La cérémonie religieuse de son enterrement aura lieu le vendredi 6 janvier à 14h30 en l’église de Gisors dans L’Eure. Ses proches ont recommandé au public de venir se recueillir avec des œillets rouges, symbole du mouvement qui a permis de renverser la dictature de Salazar au Portugal, en avril 1974.
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