Le réalisateur et écrivain tchadien Mahamat Saleh Haroun était l’un des invités du 25ème Salon international du livre d’Alger(SILA) qui s’est déroulé du 24 mars au 1 avril 2022. Il revient dans cet entretien sur son dernier roman, « Les Culs-Reptiles », paru début 2022 aux éditions Gallimard, à Paris. Son premier roman « Djibril ou les ombres portées » est paru en 2017.
Mahamat Saleh Haroun a réalisé une dizaine de longs métrages et documentaires dont « Bye bye africa (1999), « Daratt » (2006), « Un homme qui crie » (2010) et « Lingui, les liens sacrés » (2021). Il a obtenu plusieurs prix aux festivals de Cannes et de Venise.
24H Algérie: Vous êtes cinéaste et écrivain. Vous vous exprimez donc par les images et les mots. A quel moment, choisissez-vous la manière avec laquelle vous souhaitez vous exprimer ?
Mahamat Saleh Haroun: S’exprimer par le roman, c’est un désir de poésie. La poésie, c’est les mots, la sonorité…comment utiliser tout cela. C’est vraiment l’amour des mots. Au cinéma, je n’aime pas travailler les ambiances et les atmosphères. En littérature, c’est la question du ton. Dès que je trouve le ton, je m’amuse avec les mots, je trouve une sorte de résonance. Je couche tout cela sur du papier. Passer aux images, c’est avoir l’envie de raconter avec moins de mots, peu de dialogues, révéler une histoire par la mise en scène, la porter à un niveau où les mots ne peuvent pas le faire.
Pour votre nouveau roman, « Les Culs-Reptiles », vous vous êtes basés sur une histoire vraie, celle du nageur équato-guinéen Éric Moussambany qui a eu de la peine à terminer les 100 mètres nage libre lors des jeux olympiques de Syndey en 2000. Éric Moussambany, qui maîtrisait peu la nage, n’est pas passé par les phases éliminatoires…
Dès que j’ai lu l’interview de Éric Moussambany, j’ai trouvé que son histoire était extraordinaire. J’ai eu l’idée d’en faire un roman, pas un film, car j’ai trouvé qu’il y avait possibilité de s’amuser avec les mots. La littérature donne plus de possibilités de travailler l’ironie que le cinéma. J’ai pensé aussi à un conte philosophique.
Un conte contemporain…
Absolument. Les œuvres arrivent et rencontrent le public et la critique, on ne sait pas comment. C’est un mystère. Le roman « Les Culs-Reptiles » a été plutôt bien accueilli en France, par exemple, où il a été édité. Le premier tirage a été épuisé. Je n’ai jamais pensé que cette histoire pouvait intéresser les gens à ce point…
Ce roman peut-il devenir un film ?
Tout le monde me pose cette question, me parle de la possibilité d’en faire un film. Je n’y ai jamais pensé, on verra bien. J’ai un projet de film en cours d’écriture. Je souhaite tourner l’année prochaine ce nouveau long métrage. C’est une autre histoire africaine.
Est-ce que le cinéma est le meilleur moyen de raconter nos histoires en tant qu’africains ?
Oui, je pense. En fait, le cinéma, c’est nos visages incarnés. La littérature laisse la place à l’interprétation alors que le cinéma donne corps et vie à nos paysages, à nos visages…A ce niveau là, le cinéma à plus de force que la littérature.
Comment se porte le cinéma tchadien aujourd’hui ?
Il y a des jeunes tchadiens qui réalisent des courts métrages, des productions pour la télévision, des travaux qui ne sont pas ambitieux. Là, un de mes assistants vient de réaliser son premier court métrage, présenté au Fespaco (Ouagadougou) et en Allemagne. Il y a une nouvelle génération qui arrive avec sa culture des réseaux sociaux et son écriture propre. Il y a de l’intérêt pour les histoires d’amour et d’épanouissement personnel.
Comment développer la coproduction cinématographique entre pays africains ?
Les cinéastes africains ne se connaissent pas entre eux. Je ne connais pas beaucoup de réalisateurs algériens, par exemple. Il faut à un moment donné se rencontrer et avoir envie de travailler ensemble sur des projets communs. En Afrique, il n’y a pas suffisamment d’espaces où les cinéastes peuvent se rencontrer. Chacun est dans son pays.(…) Nous entrons dans l’époque numérique qui permet toutes sortes de manipulations. Ce n’est pas l’époque de l’argentique où le premier cliché peut être sauvegardé, sans être touché.
Avec le numérique, vous pouvez tout faire, y compris changer les fonds, les couleurs…Une photo prise aujourd’hui, on n’est pas sûr de la revoir ou de la retrouver dans vingt ans. L’univers numérique nous plonge dans un monde sans mémoire. Tout devient manipulable. Et cette falsification est terrifiante. Sauvez les archives n’a aucune importance aux yeux de jeunes nés avec le numérique.
Pourquoi est- il est toujours compliqué de trouver des financements pour le cinéma en Afrique ?
En Afrique, le cinéma ne trouve pas de financements parce qu’il est considéré comme une source de critique. La cinéphilie a disparu avec les cinés clubs. Dans les cinés clubs, on formait les spectateurs à avoir une distance critique par rapport à un film, avoir un esprit résistant. On a sapé tous les lieux de culture pour arriver à avoir des cerveaux disponibles à qui on peut vendre des sodas, des hamburgers, etc. C’est la victoire du néolibéralisme. Nous n’avons pas su résister en ce sens que nous n’avons pas su défendre les cinés clubs.