Le 12e Festival international du film arabe d’Oran (FIOFA) a ouvert le 5 octobre la compétition de ses long métrage par la projection d’un thriller audacieux en provenance d’Arabie saoudite. Mandoub El Leil (Coursier de nuit), premier long-métrage d’Ali Kalthami. Venu d’un royaume longtemps fermé au regard extérieur, ce film invite les spectateurs à s’immerger dans les profondeurs énigmatiques de Riyad. À travers les errances nocturnes d’un coursier, le réalisateur dévoile une face inédite de cette ville, jusque-là méconnue, en capturant ses secrets et ses tensions sous une face rarement explorée.
L’influence des thrillers urbains de Martin Scorsese est tangible dès les premiers plans de ce premier long métrage du jeune réalisateur saoudien révélé d’abord aux saoudiens à travers ses productions sur youtube.
Al Kalthami s’inspire de Scorsese pour créer une atmosphère oppressante dans les rues désertées de Riyad. Ce film, tourné exclusivement de nuit, expose une ville sous tension, où la vie nocturne se mêle à la clandestinité. Une plongée dans les profondeurs de Riyad qui n’est pas sans souligner la volonté d’ouverture culturelle insufflée par le prince héritier Mohammed Ben Salmane, dans le cadre de son plan de réformes « Vision 2030 ». Mandoub El Leil s’inscrit ainsi dans cette mouvance de modernisation, tout en offrant un regard critique sur les défis et contradictions qui émergent dans le royaume.
Un drame humain sous fond de thriller
L’intrigue du film suit Fahad, interprété par Mohammed Aldokhei, un trentenaire célibataire en proie à des difficultés personnelles et financières.
Coursier la nuit pour subvenir aux besoins de son père malade, Fahad traverse une crise existentielle. En perte de repères, il se trouve confronté à la dure réalité d’un monde souterrain qu’il découvre au fil de ses livraisons nocturnes. Entre délinquance et marché noir, la tentation devient une échappatoire séduisante mais dangereuse pour ce personnage fragile, pris dans un engrenage infernal. Le film explore ainsi les dilemmes moraux de son protagoniste, tout en mettant en lumière les tensions sociales et économiques qui minent la société saoudienne contemporaine.
Riyad, un personnage à part entière
Le décor nocturne de Riyad, filmé avec maestria, joue un rôle central dans Mandoub El Leil. La ville, souvent perçue comme austère et conservatrice, révèle ici une autre facette : celle d’une métropole en ébullition, où l’ancien monde wahhabite cohabite difficilement avec la modernité et les ambitions économiques d’un prince qui veut vendre une image moderniste. Ce Riyad des ombres devient un personnage à part entière, exposant les multiples visages d’une Arabie saoudite en pleine mutation. Ali Kalthami, à travers cette œuvre, semble vouloir utiliser la capitale comme un miroir des contradictions internes du royaume : un pays à la croisée des chemins entre la tradition ancestrale et les promesses d’un avenir cosmopolite.
Un succès international et local
Sorti en septembre 2023, Mandoub El Leil a été présenté en première mondiale au Festival international du film de Toronto avant de rejoindre le prestigieux Red Sea International Film Festival (RSIFF) à Djeddah en décembre de la même année. Le film a poursuivi sa carrière internationale avec des projections en France, notamment au MUCEM de Marseille en avril 2024 lors du festival Aflam, puis à l’Institut du monde arabe à Paris en mai, avant de toucher le public égyptien lors du festival Zawiya fin du même mois.
Produit par Telfaz 11 et soutenu par la Red Sea Film Festival Foundation, Mandoub El Leil a rapidement séduit critiques et spectateurs, décrochant notamment le prix du « Meilleur long métrage » au Festival du film de Turin. Sur le plan national, le film a également été couronné de succès : lors de sa sortie en Arabie saoudite, il a enregistré un démarrage record au box-office, dépassant même la comédie populaire Sattar avec plus de 605 000 spectateurs et 7,5 millions de dollars de recettes. Ce succès marque une première pour un thriller entièrement saoudien, prouvant que le cinéma local peut satisfaire un large public.
Ali Kalthami, un une révélation du nouveau cinéma saoudien
Ali Kalthami n’en est pas à son coup d’essai. Connu pour ses débuts dans les émissions digitales comme Khambalah et La Yekthar, il s’est imposé comme une figure incontournable du cinéma saoudien grâce à des projets novateurs, notamment la série humoristique AlKhallat et son court-métrage Wasati, qui abordait déjà des questions sociales sensibles. En tant que cofondateur de Telfaz11, Kalthami a contribué à révolutionner le contenu audiovisuel en Arabie saoudite, cumulant plus de 6 milliards de vues dans le monde.
Avec Mandoub El Leil, il franchit une nouvelle étape, explorant un genre inédit dans le paysage cinématographique saoudien. Ce thriller, à la fois intime et universel, marque un tournant dans sa carrière. Sur sa page Facebook, Kalthami a exprimé sa gratitude face à l’accueil chaleureux du public : « En explorant un nouveau genre, nous avons fait un saut dans l’inconnu, et l’enthousiasme réservé au film est extrêmement gratifiant. Mandoub marque un changement important dans le cinéma saoudien et je suis ravi de l’accueil du public. »
Avec cette œuvre, Ali Kalthami ouvre une nouvelle ère pour le cinéma saoudien, affirmant la capacité du royaume à produire des films ambitieux et universels.