« Je suis né le 1er novembre 1954, sous un chêne, dans le maquis « . Depuis que j’ai rejoint l’ALN, en 1956, j’ai pris l’habitude de donner cette réponse quand on m’interrogeait sur mes origines. Je le faisais par nécessité, par conviction, un peu par jeu aussi. Mais avec le temps, ce qui était une boutade est devenu une évidence. Car pour moi, comme pour plusieurs générations, la guerre de libération ne fut pas seulement le début d’une nouvelle vie, d’une nouvelle époque, mais un acte de naissance, un acte fondateur de ce que nous sommes, de ce que nous devions être, ce que nous n’aurions jamais du cessé d’être : des hommes libres, des Algériens vivant librement dans un pays libre. »
Ces phrases extraites du livre de mémoire du commandant Lakhdar Bouregaa le définissent totalement. Cet homme, qui n’a pas exercé de responsabilité officielle dans l’Algérie indépendante, est resté constamment debout, sous le chêne du premier novembre, à se battre pour cette Algérie libre avec des Algériens libres.
Cet homme né dans l’état-civil, un 15 mars 1933, ce baroudeur des maquis, affirme, à juste titre, être né un 1er novembre, comme l’Algérie. Il ne se trompe pas de date, il est totalement dans l’époque, dans le moment d’une naissance pleine d’espérance qui l’habitera, lui qui n’a pas eu droit « à la récompense suprême, la chahada, le martyr ». Par fidélité aux rêves et aux espoirs de ceux qui sont tombés au champ d’honneur, par loyauté au serment du chêne, à ce que « nous n’aurions jamais du cessé d’être ».
Tout le parcours du commandant Lakhdar Bouregaa, qui a dirigé la célèbre compagnie Zoubiria, dans la Wilaya IV et qui a côtoyé des géants comme si M’hamed Bougara et Mohamed Bounâama et tant d’autres, tient à cette loyauté absolue à ce 1er novembre qu’il a choisi comme date de naissance et qui est, historiquement, celle de la naissance de l’Algérie moderne. C’est cette loyauté qui fera qu’il se retrouve dans l’opposition contre le coup de force du groupe de Oujda, avec Hocine Aït Ahmed, au FFS, le premier parti qui tente de s’opposer à la mise en place du système de parti unique qui va assécher la vie publique et favoriser l’émergence de la médiocratie.
Il en paiera le prix : prison, fausses accusations portées contre lui, tortures. Tout ce que l’Algérie n’aurait pas dû être, il l’aura subi dans sa chair. Toutes les avanies subies ne le feront pas dévier, il reste un homme libre, qui dit ce qu’il pense et qui s’intéresse à tout ce qui se passe en Algérie mais aussi dans le voisinage proche et lointain. Il n’y avait donc aucun mystère à le retrouver, avec Djamila Bouhired, comme le « lien » fort entre le Hirak et Novembre. Les Algériens, jeunes et moins jeunes, étaient heureux d’avoir parmi eux, ce chêne, né un 1er novembre, plus que jamais fidèle à ce que nous, Algériens, « devions être » à ce « que nous n’aurions jamais du cessé d’être ».
Il y avait une aberration dans l’emprisonnement de Lakhdar Bouregaa, le 30 juin 2019, sous l’accusation d’«outrage à corps constitué » et « de participation à une entreprise de démoralisation de l’armée ayant pour objet de nuire à la défense nationale ». Il y eut ensuite l’indécente tentative de la télévision publique, poussée par je ne sais quel lobotomisé de la mémoire au pouvoir, d’essayer de semer le doute sur son passé révolutionnaire. Une tentative, vaine, qui aura révulsé le cœur des Algériennes et des Algériens.
« Une fois vieux, je voudrais mourir comme Bouragaa : avec dignité et l’amour de tout un peuple… » a écrit l’universitaire Fayçal Sahbi. On ne peut mieux exprimer le respect et la sympathie générale qu’inspire cet homme qui sera enterré ce soir au cimetière de Sidi Yahia.
Oui, béni soit le Hirak qui a permis aux jeunes et aux moins jeunes de connaître le Commandant Lakhdar Bouregaa, un chêne qui a l’enracinement et l’ampleur de l’Ouarsenis. De l’Algérie.
[…] du PCA, puis du Pags jusqu’au début 1990, Sadek Hadjerès a rendu un vibrant hommage à Si Lakhdar Bouregaa, dans une lettre de condoléances adressé à sa famille et à ses compagnons de lutte. Le moudjahid […]