Le président français Emmanuel Macron a fait un pas en avant en commémorant le 60ème anniversaire du massacre du 17 octobre 1961, mais sans reconnaître le crime d’Etat.
Durant la soirée du 17 octobre 1961 à Paris, plus de 25.000 Algériens ont, à l’appel de la Fédération de France du FLN, manifesté pacifiquement pour dénoncer un couvre-feu discriminatoire décrété à leur encontre par le préfet de police Maurice Papon.
Un décret daté du 5 octobre 1961 interdisait aux Algériens de sortir de chez eux après 20h30.
Maurice Papon a opté pour la répression sanglante sans précédent. Des dizaines d’Algériens ont été jetés dans la Seine, d’autres tués par balles. Un crime sans précédent en Europe.
Entre 1942 et 1944, Maurice Papon, salué plus tard par le général De Gaulle pour son « travail » à la tête de la police parisienne, s’était impliqué dans la rafle de 1 600 juifs à Bordeaux, conduits vers le camp de Drancy, puis vers la mort dans celui d’Auschwitz.
Des crimes « inexcusables »
Pour ces actes, il a été condamné en 1988 à dix ans de réclusion criminelle « pour complicité de crimes contre l’humanité ».
Mais, il n’a jamais été jugé pour le massacre de dizaines d’Algériens, des civils désarmés, et qui peut être également inscrit dans le registre de « crime d’Etat » ou de « crimes contre l’humanité ». Pire, il est resté en poste jusqu’à 1967 sans être inquiété. Il a été nommé ministre du budget dans le gouvernement Raymond Barre en 1978 !
« Les crimes commis cette nuit-là sous l’autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République », estime Emmanuel Macron, dans un texte publié par l’Elysée, sans préciser que Papon était un préfet de police agissant sous les ordres de sa hiérarchie politique.
L’idée était-elle de suggérer que Maurice Papon agissait seul ? Un acte isolé ? Les chercheurs en Histoire pointent du doigt Michel Debré, Premier ministre de janvier 1959 à avril 1962, qui aurait donné des ordres à Maurice Papon pour réprimer durement la manifestation pacifique des Algériens.
Le nombre de morts demeure inconnu
« La répression fut brutale, violente, sanglante. Près de 12.000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri au Stade de Coubertin, au Palais des sports et dans d’autres lieux. Outre de nombreux blessés, plusieurs dizaines furent tués, leurs corps jetés dans la Seine », souligne encore Emmanuel Macron. Aucun chiffre n’est donné sur le nombre exact des morts. Officiellement, on avait annoncé deux morts et une soixantaine de blessés.
Ce chiffre a été remis en cause par des historiens français et européens sans susciter une réaction de l’Etat français pendant soixante ans. Et, selon ces historiens, il y aurait eu au moins 200 morts et des dizaines de disparus, la nuit du 17 octobre 1961. Les dépouilles des disparus n’ont jamais été retrouvées.
« Une tragédie occultée »
« Cette tragédie fut longtemps tue, déniée ou occultée. Les premières commémorations furent organisées par le maire de Paris, M. Bertrand Delanoë ainsi que par d’autres élus de la Nation », reconnaît Macron.
Maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë a été le premier homme politique à briser le mur du silence autour de la boucherie de 1961 en posant en 2001 une plaque commémorative à Paris sur le pont Saint-Michel. A l’époque, les mouvements d’extrême-droite avaient organisé des manifestations pour protester contre cette décision et tenter d’empêcher la commémoration.
« Il n’est jamais trop tard pour faire avancer la vérité », a déclaré Bertrand Delanoë au Journal du Dimanche, paru ce 17 octobre 2021.
En 1991, l’historien français Jean-Luc Einaudi a été le premier à publier des détails du massacre commis par Maurice Papon et ses agents dans le livre « La Bataille de Paris, 17 octobre 1961 », paru aux éditions du Seuil. Un livre de référence ignoré pendant longtemps par les médias français (il a été réédité en 2001). Maurice Papon a poursuivi Jean-Luc Einaudi en justice pour diffamation et a perdu le procès.
« Aujourd’hui, soixante ans après, le Président de la République s’est rendu au pont de Bezons, près de Nanterre d’où sont partis ce jour-là de nombreux manifestants, et où des corps ont été repêchés dans la Seine », reconnaît encore Macron.
Le chef d’Etat français, candidat à l’élection présidentielle de 2022, n’a pas prononcé de discours, contrairement à la cérémonie, fin septembre 2021, où il a demandé pardon aux Harkis, supplétifs de l’armée coloniale française durant la guerre de libération nationale. « La France regarde toute son Histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies », souligne Macron mais sans reconnaître le crime d’Etat, tel que demandé côté algérien.
« Un texte sans ampleur »«
Il y a quelques jours, les propos d’Emmanuel Macron sur l’histoire de l’Algérie étaient destinés à provoquer l’Algérie et les Algériens ; ils étaient soigneusement choisis pour cela. Pourquoi vouloir à toutes forces enflammer la situation? Le choix de la date, à la veille du 17 octobre, laissait penser que la crise était offerte à l’extrême droite et à la part revancharde de l’opinion pour les apaiser avant de réaliser un geste spectaculaire à l’occasion du soixantième anniversaire du massacre du 17 octobre 1961″, écrit l’historienne Malika Rahal sur Facebook.
Et d’ajouter :
« Or, ce geste muet est accompagné d’un texte sans ampleur qui identifie un coupable unique, Maurice Papon, parfait coupable grâce auquel l’on évite d’identifier les responsabilités politiques et de nommer les perpétrateurs du massacre. Je m’interroge toujours, mais cette soumission de la diplomatie a des enjeux de politique française et de mémoire (comme d’ailleurs le contraire) serait grave et, pour tout dire, révoltante ».
Une minute de silence chaque 17 octobre en hommage aux victimes de Paris
Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a, selon un communiqué de la Présidence, décidé de décréter l’observation d’une minute de silence, le 17 octobre de chaque année à 11h à travers tout le territoire national, à la mémoire des Chouhada des massacres du 17 octobre 1961 à Paris. Ce dimanche matin, demain dimanche.
En 2020, pour rappel, le président Tebboune a décidé d’instituer une Journée nationale de la mémoire, à l’occasion du 75e anniversaire des massacres commis en Algérie par le colonialisme français le 8 mai 1945, afin de préserver cette mémoire » de toute altération et de la transmettre aux générations futures ».
Ce dimanche matin, le président Tebboune, s’est recueilli au sanctuaire du Martyr à Alger, à la mémoire des martyrs de la Révolution et en commémoration des victimes des massacres du 17 octobre 1961 à Paris.
Au cours de cette cérémonie commémorative, le Président Tebboune a, selon l’APS, échangé des propos avec d’anciens moudjahidine et des membres de la famille révolutionnaire, notamment ceux de la Fédération de France du Front de libération nationale.