Perchée au sommet du Zaccar, la ville de Miliana, située à 113 kilomètres du sud-ouest d’Alger, fait partie de ces villes dont le passé est omniprésent. Se balader dans ses ruelles bordées de platanes, révèle à chaque halte un pan de son histoire. Miliana a accueilli de nombreuses civilisations à travers le temps. la civilisation Romaine, Ottomane, Arabe, les influences de toutes ces civilisations sont encore visibles notamment dans son architecture. Mais ce qui y frappe surtout est de l’ordre de l’invisible: la ville est hantée par le souvenir de ses mineurs.
Les mines du Zaccar ont fermé depuis 45 ans mais la mémoire des mines est encore vive parmi les Milianais qui souhaitent voir un jour – bientôt ils espèrent – ouvrir le musée qui rendrait hommage à leurs pères, à leurs grands-pères, à leurs ancêtres les mineurs.
L’histoire de ces carrières à ciel ouvert est intimement liée à celle des familles de la région: lorsqu’elles étaient à l’apogée de leur fonctionnement, les mines employaient le tiers de la population de toute la région de Miliana. Ce n’est donc pas étonnant que le triste souvenir des mineurs soit aujourd’hui encore palpable dans l’esprit des Milianais.
Aujourd’hui, le massif rocheux ne paie pas de mine, il ne garde de son passé que cette couleur rougeâtre témoin de la présence du fer. Abandonnée à son sort de carrière défraichie, celle-ci offrait pourtant du temps de la colonisation française un minerai d’une rare qualité. D’ailleurs, les habitants de Miliana n’oublieront pas de vous dire et redire que “leur fer” a servi à la construction de la Tour Eiffel.
Mohamed Landjerit est, à 74 ans, le digne descendant d’une de ces familles, fils et petit-fils de mineurs. Il se rend de temps à autre dans ces lieux emblématiques pour lui. La plus proche carrière est seulement à quelques kilomètres de la ville. En arpentant le chemin sinueux qui mène vers la montagne rougeâtre, Mohamed confie qu’à chaque fois les souvenirs de son enfance lui reviennent en cascade.
Il voit encore son père et ses compagnons d’infortune presser le pas pour rejoindre les mines suite à l’appel de la sirène. Chacun tenant sa lampe à huile pour éclairer les sombres matins d’hiver, la rude ascension de la montagne était pourtant semblable à “un défilé de lucioles” comme il le décrit si joliment.
« Lorsque mon père quittait la maison tôt le matin j’accourais à la fenêtre, notre maison se trouvait au pied du Zaccar, et je pouvais donc admirer ce spectacle à la fois triste et merveilleux. Même très jeune, j’avais peur de ne pas voir mon père revenir de la mine, mais mon angoisse se dissipait à chaque fois devant le panorama où scintillaient les mèches des lampes comme autant des lucioles en mouvement » évoque Mohamed nostalgique et ému.
Le père de Mohamed a travaillé à la mine pendant 30 ans, comme son père avant lui. Si la mine l’a usé au fil des années, elle lui a épargné une mort tragique. Une chance que d’autres n’ont pas eu, confie Mohamed.
Des moyens rudimentaires
Arrivés au pied de la montagne, l’on se retrouve devant les entrées des tunnels qui mènent au cœur des mines. Dès que l’on franchit la bouche de la montagne, qui mesure près de deux mètres de diamètre, c’est le noir total. Mohamed précise que les mines du Zaccar ne ressemblaient pas aux super structures gigantesques équipées de tours d’extraction et toute l’artillerie des mines classiques.
Les mineurs travaillaient dans des conditions difficiles et avec des moyens rudimentaires. Ils escaladaient la paroi rocheuse accrochée à des cordons et descendaient au fond des mines à l’aide d’une échelle.
Chaque ouvrier avait un rôle dans la mine. Les débutants qui d’ailleurs ne dépassaient pas les 12ans d’âge, travaillaient en tant que « mousses », c’est-à-dire comme porteurs d’eau et d’outils ou pousseurs de wagonnets. Les plus chevronnés étaient poseurs de mines. Et Il y avait ceux qui travaillaient dans les ateliers de réparation.
À l’intérieur des mines, dans le puits situé à une dizaine de mètres, le travail s’organisait à la chaine. Certains déballaient les tas de blocs grisâtres, des manœuvres chargeaient le minerai sur les wagonnets pour le faire ensuite basculer dans une fosse sans fond ouvrant sur la montagne. Enfin le minerai dévalait la pente, pour être recueilli sur des terrasses en contrebas. Une fois à l’extérieur, le minerai était acheminé au port d’Alger en direction de la France.
Mais le périple du mineur est loin d’être terminé, une fois le minerai sorti. Il devait rejoindre la sortie en empruntant un chemin plein d’embuches. « On en revient à l’histoire de la lampe du mineur. Pour sortir de la mine, sa vie dépendait de sa lampe. Si par malheur un courant d’air l’éteignait, il serait plongé dans le noir et l’incertitude de pouvoir retrouver son chemin”. Certains mineurs sont encore aujourd’hui célèbres dans la mémoire collective des Milianais, à cause de leur sens de l’orientation, ils auraient parcouru des kilomètres dans le noir et réussi à sortir.
La rude journée du mineur se terminait au son de la sirène, surnommé par les habitants « Boq Lermiz ». « Boq » traduisant intégralement le mot arabe « بوق » qui signifie le son de la trompette et « Lermiz » qui veut simplement dire la remise où les mineurs déposent leurs matériels.
Ces hommes des profondeurs, ont joué un rôle important dans la guerre de libération. Certains d’entre eux, ont été les meilleurs artificiers de la guerre, aime à rappeler Mohamed qui aimerait un jour voir “des circuits touristiques mener aux mines du Zaccar, avec une reconstitution du site et du travail de mineur”.
Aujourd’hui que reste-t-il des mines de Miliana?
Les mines ont été fermées par le président Houari Boumediene en 1975. « Cela n’a pas été brutal puisque la mine ne recrutait plus depuis plusieurs années déjà. La mine n’était plus rentable puisque le minerai était de faible teneur et les grandes richesses étaient dissoutes » explique Mohamed. Plus de 500 mineurs allaient se retrouver au chômage après la fermeture des mines.
Si les Milianais s’étaient préparé à la fermeture de la mine, un incident a tout de même marqué leur esprit. Toutes les familles de mineurs se souviennent du démantèlement de ce qui constituait la mine et sa vente au quintal à des pays étrangers. Mohamed se souvient que la population s’y opposa et y vit une atteinte au patrimoine de la cité.
« Je me souviens que je m’étais rendu sur les mines dans l’espoir de retrouver quelques pièces en souvenir de mon père. Beaucoup de ces outils ont été jetés au fond d’un ravin au niveau de la mine. Pour ce qui est des wagons, certains étaient restés au fond de la mine. J’ai réussi difficilement à récupérer un de ces wagons qui se trouve actuellement chez moi » évoque Mohamed dans un souvenir victorieux.
Mohamed comme toutes les familles de cette petite ville souhaitent que l’identité de Miliana soit publiquement liée à l’histoire de ces mines. Ouvrir un musée qui raconte l’histoire de ces hommes c’est rendre hommage à tous ici, toutes les familles milanaises ont un parent qui a creusé dans ces montagnes pour extraire le fer.
En attendant, que reste-t-il de ces mines, si ce n’est les histoires transmises de père en fils? Mohamed conserve précieusement chez lui une lampe et un wagonnet, en souvenir de son père et de ses frères les mineurs. Il craint qu’un jour la transmission de l’histoire aux enfants soit rompue. Mais un élan d’espoir l’emporte en lui, celui de voir le rêve de la ville se réaliser et la mémoire des mineurs de Miliana à jamais protégée de l’oubli.
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