Une mise à l’index injuste*

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Une mise à l'index injuste
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Qu’ils soient pratiquants ou non, croyants, agnostiques ou athées, les Français et Européens d’origine arabe, maghrébine ou africaine plus ou moins lointaine traversent des moments très difficiles. Ils sont mis en cause, mis à l’index et tenus pour responsables ou complices des actes, très graves, qui sont commis en France ces dernières 48 heures. La formule «rejeter l’amalgame» relève de la pure clause de style pour ne pas désigner des propos et analyses qui ont trouvé, dans les actions criminelles de ces dernières heures, une occasion propice pour s’en prendre à eux.

«Il ne fait pas bon être musulman» actuellement en France et en Europe. Il ne fait pas bon être Algérien ou d’origine, précisent d’autres, habitués à être classés comme les plus dangereux. Ce sont les messages, pratiquement formulés en termes identiques, que nous recevons actuellement de ceux que nous connaissons en France. Et pourtant, la plupart des musulmans partagent totalement ce que dit le chef du Hezbollah de ces «djihadistes» qui par leurs «actes immondes, violents et inhumains… ont porté atteinte au prophète et aux musulmans plus que ne l’ont fait leurs ennemis (…), plus que les livres, les films et les caricatures ayant injurié le prophète». Mais il est évident qu’on n’essaye pas de les écouter.

La situation est encore plus difficile pour ceux qui sont engagés de manière active et publique – et dans la légalité, il est bon de le préciser – dans la lutte contre la discrimination sociale et l’islamophobie. L’»amalgame» est en effet déjà en marche contre ceux qui – usant du droit à l’expression reconnu par les lois – disaient leur désaccord avec les idées de Charlie Hebdo. Ces groupes militants, comme les Indigènes de la République, des journalistes «hors du cadre» et d’autres, sont rendus «responsables» de crimes qu’ils réprouvent de toutes leurs forces. Ces mises en cause ne sont pas toutes dues à l’émotion. Certains comme l’extrême-droite et pas seulement eux sont déjà dans l’exploitation politique pour attenter à l’expression des autres, leur adresser des sommations de se taire.

Le moment d’intense émotion et de colère semble ainsi idéal pour attenter à la liberté d’expression qui est pourtant l’étendard que l’on brandit. Pressentant les vents mauvais, les syndicalistes français de «Solidaires» avaient rejeté, le jour même du carnage, «toute stigmatisation qui pourrait résulter d’une volonté politique d’assimiler des personnes au nom de leur culture ou de leur religion à cet acte atroce». Ce n’est pas qu’une simple prémonition. En regardant les couvertures des télévisions où le mot «amalgame» est souvent répété, il y a bien une mise à l’index à l’égard d’une communauté musulmane «qui n’existe pas» mais que l’on somme non pas de condamner – ce qui est une évidence – mais d’assumer une «responsabilité». Du pur phantasme !

L’impensé se libère et certains en oublient les précautions de langage et désignent ceux qui s’impliquent dans le débat public et politique comme des «coupables». Comme si l’on voulait imposer une conclusion : la faute à l’islam et aux musulmans. Ce n’est pourtant pas une simple affaire de religion ou d’inadaptation présumée de l’islam à la modernité. Le «djihad» moderne est né de la guerre froide, il a été instrumentalisé et entretenu. Des politiques menées par les Etats occidentaux et des gouvernements arabes ont créé ces mutants qui dévastent les pays arabes et musulmans. Ce n’est pas en stigmatisant des populations entières, des forces politiques émergentes et en sommant ceux qui débattent et portent la contradiction à des politiques – qui fabriquent des Daech – que l’on résoudra les problèmes. Encore moins en tentant d’exploiter des moments douloureux pour se livrer à des manœuvres politiciennes.

Ce texte a été initialement publié en janvier 2015 au lendemain des attentats de Charlie Hebdo. Nous le republions ici avec l’aimable autorisation de son auteur

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