Mohamed Benhadj, commissaire d’exposition, designer et artiste performeur, est arrivé dans le monde de l’art par un chemin décousu. Son identité artistique s’est forgée au fil des expériences, à la fois humaine et plastique.
D’Alger à Barcelone, ces dix dernières années ont été pour lui remplies de travail et couronnées de succès. Avec son projet Al-Tiba9, Mohamed Benhadj, exposent et accompagne des artistes internationaux, participe à des foires , biennales, et autres évènements cotés dans le monde de l’art.
À 34 ans, Mohamed Benhadj est le propriétaire de la galerie virtuelle « Al-Tiba9 Contemporary Art » et du magazine éponyme. En 2020 il devient Ambassadeur culturel du prix « ARTE LAGUNA », l’un des concours d’art contemporain les plus célèbres de l’Arsenal de Venise, en Italie. Cette consécration fera de Al-Tiba9, un des nombreux Prix que compte le Arte Laguna Prize.
Le 3e numéro de son magazine a été utilisé comme référence en design pour les études doctorales en design à l’université d’art de Tokyo au Japon.
Mohamed Benhadj, parle de ces consécrations avec beaucoup de recul. Il estime que c’est le résultat de plusieurs années de travail. Pour lui, le travail « sincère et appliqué » entraine forcément la réussite.
Installé à Barcelone depuis 2015, Al-Tiba9 est néanmoins né en Algérie. « Al-Tiba9 est un concept qui englobe différentes expressions artistiques qui se déclinent à travers plusieurs médiums.
Il s’agit d’une exposition dont le projet artistique phare est la performance. « Chaque fois qu’une nouvelle édition d’Al-Tiba9 est organisée, j’initie de nouvelles forment d’art. La dernière, organisée à Alger en 2019, a vu l’introduction d’un mélange de performances et de design de mode », explique Mohamed Benhadj.
Al-Tiba9 est aujourd’hui un projet connu à l’international. Mohamed Benhadj a participé récemment avec sa galerie à la foire internationale « Arts Libris » de Madrid. Il a également été invité à animer une conférence sur les enjeux de l’art contemporain.
Pour ce jeune homme, se faire une place dans le monde de l’art c’est avant tout du relationnel. Dans ses collaborations avec les artistes, il dit qu’il refuse de travailler avec eux sur des évènements ponctuels, mais privilégie des collaborations sur le long terme.
« Si aujourd’hui Al-Tiba9 parvient à se positionner dans le monde de l’art, c’est parce que j’ai accordé énormément d’importance à mes collaborations. Je suis constamment en train de chercher de nouveaux artistes, me renseigner de très prés sur les nouvelles créations contemporaines. C’est un travail au quotidien pour moi. C’est pourquoi, quand je monte une exposition, je ne soumets pas les artistes participant à un thème, je sais exactement qu’elle œuvre il devrait exposer », précise-il.
Mohamed Benhadj a le souci de la perfection. Il estime qu’une oeuvre doit est esthétique. Elle doit porter un discours pertinent pour susciter différentes émotions chez l’observateur.
« Ma vision d’artiste est en mode puzzle. Quand je choisis une oeuvre pour une exposition, ce n’est pas parcequ’elle répond à une série de critères mais plutôt car elle est nécessaire dans l’exposition. Je rassemble des pièces pour former un tout qui exprime une vision », détaille l’artiste.
Cette façon de travailler est selon lui inspirée instinctivement de son parcours, qui pour lui reste atypique. « Je suis arrivée dans le monde de l’art avec mes propres règles. Le chemin que j’ai emprunté je l’ai tracé seul. Aucune école d’art, ni formation dans le domaine. Je n’ai eu aucun accompagnement. J’avais pour seules armes mon audace et mon ambition », confie l’artiste performeur.
Un chemin vers l’art « décousu »
« Si j’enlève une journée de ces 10 ans de parcours artistique tout s’effondre. Chaque expérience, chaque décision, chaque rencontre bonne ou mauvaise était nécessaire pour arriver à la stabilité dont je jouis aujourd’hui », insiste Mohamed Benhadj.
Brillant élève, il obtient son baccalauréat à l’âge de 17 ans. Le plus jeune d’une fratrie de trois, Il souhaite faire des études d’architecture mais la famille décide autrement. À la rentrée, il entame des études de sciences exactes et technologie à l’université de Blida.
Pendant deux ans, le jeune étudiant essaie de se motiver mais son esprit est ailleurs. Les plans de carrière sur lesquelles débouchent ces études ne le passionnent pas. À 20 ans, il prend une décision radicale et quitte l’université.
« Je n’avais aucun plan B. Je savais juste que je ne voulais pas faire ces études et c’était suffisant pour mettre un terme à ce cursus. Je savais que cette décision allait m’attirer les foudres de ma famille, donc il n’était pas question qu’il l’apprenne. J’ai dû faire semblant d’aller étudier chaque jour pendant plusieurs années. Rien n’était simple mais je ne remettais jamais en question cette décision que j’ai prise à 20 ans », se souvient Mohamed Benhadj .
Mohamed Benhadj enchaine les petits boulots. Chaque jour, il sort de la maison à 7h du matin pour que sa famille ne se rende pas compte qu’il a quitté les bancs de l’université. Et pour remplir ses journées, il cherche du travail. Un jour, il croise une affiche pour un concours d’infographie et il décide de participer.
« Ce concours est je dirai le début de quelques choses. J’ai participé alors que je savais que je n’allais pas gagner car je n’avais aucune expérience. J’ai commencé à télécharger des logiciels et à m’exercer juste pour tenter l’expérience. Très vite je me suis familiarisé avec les outils.
Lors de la remise des prix, bien sûr je n’ai pas gagné, mais j’étais décu par le travail des gagnants. Je trouvais qu’il avait la technique mais mon travail à moi était beaucoup plus créatif. Après le concours, j’ai eu envie de faire une école d’infographique », se souvient Mohamed Benhadj .
À l’époque le coût de la formation frôlait les 20 briques. Mohamed Benhadj fait le calcul et se rend compte qu’il ne pourra jamais arriver à la somme. Audacieux, il décide d’aller à une école d’infographie à Alger et leur proposer de payer les modules au mois. Mieux. Il choisit de commencer par le module qui l’intéresse.
« Ce domaine me passionnait et j’avais très envie d’apprendre. À peine quelques mois passés dans cette école j’ai commencé à envoyer mes cv et j’ai très vite intégré une agence. Après 7 mois de travail, j’ai eu un meilleur poste dans une autre entreprise. J’étais épanoui et je commençais à avoir une autonomie financière à seulement 23 ans. J’ai ensuite décidé de prendre des projets en freelance pour avoir du temps d’expérimenter autre chose », raconte Mohamed Benhadj .
Les aller-retour à Alger vont finir par divulguer le secret jusque-là bien entretenu. Suite à un incident il devra avouer à ses parents qu’il a quitté l’université pour se consacrer à autre chose. Conséquence, il devra désormais s’assumer seul et il est contraint de quitter le domicile familial.
Ce jeune garçon doit se trouver un toit et subvenir à ses besoins. Il loue à Alger et continue à travailler. Rien n’est facile mais Mohamed Benhadj s’en sort.
Malgré les difficultés, le jeune homme continue de tenter de nouvelles expériences. Il décide de prendre des cours de dessin et de peinture, pendant lesquelles il réalise des tableaux aquarelles.
Un jour, en passant à l’hôtel Sheraton il voit une exposition de tableaux, il décide d’aller se renseigner et leur propose d’exposer ses peintures.
« C’était un premier travail artistique. La galerie a accepté de m’exposer, et mon premier public était principalement mes amis », se souvient amusé Mohamed Benhadj .
Une première exposition qui va lui tracer un chemin vers l’étranger. Après cette exposition Mohamed Benhadj est invité à participer à deux expositions l’une aux Pays-Bas et l’autre en Espagne.
C’était en 2013 et il avait 24 ans. Durant ces deux voyages, il rencontre des artistes, découvre des villes, échange avec des gens. Mohamed Benhadj a le contact facile. Il décide alors d’inviter les artistes espagnols qui expose avec lui à venir à Alger pour une exposition.
En rentrant à Alger, il va à la rencontre du directeur de la galerie Art et culture d’Alger-centre. Il lui propose le projet et ce dernier lui ouvre les portes de la galerie.
Mohamed Benhadj organise une exposition d’artiste algéro-espagnole. S’il est aujourd’hui un commissaire d’exposition de renommée internationale, cette première expérience en était les prémices. D’autres ont suivi et Mohamed Benhadj faisaient officiellement son entrée dans le monde de l’art.
La performance comme une nécessité s’exprimer autrement
Si aujourd’hui le terme « performance » désigne clairement une œuvre artistique, à l’époque où Mohamed Benhadj s’initie à cette forme d’art, sa compréhension n’était pas aussi évidente.
« J’avais les besoins de m’exprimer autrement, en mobilisant mon esprit et mon corps. Je voulais une forme d’art propre à notre époque. Souvent on entend les anciens dire que la nouvelle génération n’a pas donné le meilleur d’elle-même. « , souligne Mohamed Benhadj .
Sa première performance était lors d’une exposition privée dans la galerie art et culture. Mohamed Benhadj arrive à l’exposition, la tête recouverte d’une dentelle noir et s’adonne à des mouvements corporels sous le regard curieux des gens.
« C’était une performance sauvage car elle n’était pas préparée. Il s’agissait pour moi de briser les normes qui s’établissent sans refuser le passé. L’idée était de secouer les nouvelles générations, afin de créer nos propres expressions », se souvient Mohamed Benhadj .
Quelques mois plus tard , il réitère l’expérience en allant à une exposition à Villa Abdelatif avec avec la peluche ratatouille.
« Les expositions ont souvent été des milieux élitistes où on arrive avec invitation et pour avoir ces invitations, il faut être connu du monde de l’art. Lorsque j’ai débarqué à l’exposition avec le costume de ratatouille j’ai provoqué différentes réactions. Certains trouvaient l’idée curieuse et géniale. D’autres ont vu en ma démarche de la provocation. Ces réactions sont normales mais une fois de plus c’est une manière pour moi de montrer qu’on a le droit de s’exprimer comme on veut. Je suis arrivé dans le monde de l’art avec mes propres règles et cela ne m’a pas empêché de réussir ».
Mohamed Benhadj considère que sa vision artistique est sans frontières. Différentes expressions ses chevauchent et se complètent. Ce tout va être baptisé Al-Tiba9 .
« J’ai organisé en 2013 la première exposition Al-Tiba9 à Alger. Lors de cette exposition j’ai projeté le film de mes deux performances. Aujourd’hui la performance fait grandement partie de mon travail artistique. EN 2015, j’étais finaliste en section Performance Art avec mon travail ‘‘God will know his Own ». J’ai fais ma performance en direct à l’Arsenal de Venise».
Ce qui fait de ce jeune homme le seul artiste algérien finaliste du Grand Prix Arte Laguna Prize.
En 2021, il lance « Al-Tiba9 Art Gallery », une galerie virtuelle qui vient couronner ces dix années de travail. » Al-Tiba9 a aujourd’hui sa place dans le monde de l’art. Ces dernières années, j’ai fais en sorte d’être présent aux différentes foires et autres évènements de l’art. En lançant ma galerie c’était le moment pour moi de faire valoir mon carnet d’adresses. La prochaine étape sera de lancer une version physique de la galerie », dit-il.
Mohamed Benhadj aspire à réaliser d’autres projets en collaboration avec des artistes Algériens et étrangers. Il souhaite faire de Al-Tiba9 un pôle d’art contemporain en Afrique du Nord offrant au monde une expérience unique de créativité, de possibilité et de croissance.