Mohamed Hadi Hareche, professeur d’Histoire antique et anthropologue à l’Université d’Alger 2, a expliqué, lors d’une conférence à Tamanrasset, la signification de la célébration de Yennayer.
Le Yennayer est, selon lui, d’abord lié au calendrier agricole. Il a rappelé que l’Afrique du Nord et les régions de l’Ahaggar et du Touat-Gourara avaient connu l’agriculture des milliers d’années avant Jésus-Christ.
Dans les anciens temps, un calendrier a été adopté pour organiser les saisons agricoles. L’universitaire a indiqué que la période la plus difficile pour les paysans était celle située entre le début de la saison de labour-semaille et janvier.
« Cette période débute le 17 octobre de chaque année jusqu’au 12 janvier. Elle est divisée en nuits noires et en nuits blanches (أوضان إسماضن/ إملالن). Les nuits noires, qui s’étalaient le long du mois de décembre jusqu’au début janvier, constituaient la période la plus pénible pour l’agriculteur puisqu’il n’y avait pas de pâturage et les provisions des foyers baissaient », a-t-il expliqué lors d’une conférence à la maison de la culture Dassine de Tamanrasset, à la faveur d’une manifestation organisée par le Haut Commissariat à l’Amazighité (HCA) pour célébrer le Yennayer 2972.
« Le début des nuits blanches… »
Et d’ajouter : « Les graines étaient semées durant cette période aussi. L’inquiétude des agriculteurs augmentait puisque la semaille se faisait sous couvert d’un temps très froid. La gelée empêchait les graines de se développer ».
Mohamed Hadi Hareche a rappelé qu’après les opérations de labour-semaille, un boeuf était égorgé et sa viande distribuée à tous les villageois comme un acte de solidarité: « Les villageois étaient prêts à affronter le destin ensemble. C’était la première célébration. La deuxième vient après le 12 janvier. Elle annonçait le début des nuits blanches. Le climat devenait plus clément. Un dîner collectif était alors organisé pour célébrer la fin des nuits noires et de la période de la gelée ».
Des Calendriers solaires à la place des calendriers lunaires
Mohamed Hadi Hareche a précisé qu’en région méditerranéenne, il existait trois calendriers solaires : le calendrier égyptien, le calendrier amazigh et le calendrier romain. Les grecs et les chinois préféraient le calendrier lunaire. Dans le calendrier égyptien, l’année, qui était divisée en trois saisons de quatre mois (Akht, Bart et Shamo), débutait en mi-juillet. « Les anciens égyptiens célébraient la fin des moissons. Leur calendrier agricole était lié au Nil. L’Egypte est le don du Nil, disait-on. Le calendrier romain était composé de dix mois, quatre mois de 30 jours et six mois de 31 jours. L’année romaine débutait en mars et se terminait en décembre », a-t-il dit.
Mohamed Hadi Hareche a avancé que la thèse que l’empereur romain Jules César, qui s’était séjourné en Egypte et en Afrique du nord, s’était inspiré des calendriers égyptien et amazigh pour introduire ses réformes (46 avant Jésus Christ) et réadapter le calendrier romain pour que l’année commence en janvier au lieu de mars. Le calendrier julien avait été remplacé par le calendrier grégorien à partir du XVI siècle.
« Nous devons étudier nous même notre Histoire » selon Mohamed Hadi Hareche
Mohamed Hadi Hareche a précisé qu’en Afrique du nord, le calendrier était divisé en quatre saisons de trois mois coïncidant avec le printemps, l’hiver, l’été et l’automne. L’été commençait le 17 mai et l’automne le 17 août. Ce calendrier était adapté au climat de la région qui différait de celui de l’Europe.
« Nous devons étudier nous même notre Histoire, nos us et coutumes. Les français ont étudié notre Histoire de sorte à servir leur présence coloniale en Algérie. Je le dis souvent aux collègues universitaires : il faut revenir aux sources utilisées par les français pour les réétudier et les réexaminer », a plaidé Mohamed Hadi Hareche.
Les chiffres arabes nés à Béjaïa
Revenant sur la profondeur historique de l’Algérie et de l’Afrique du nord, Mohamed Hadi Hareche a indiqué que les chiffres arabes dits chiffres poussiéreux (الأرقام الغبارية) avaient été crées à Béjaïa par les mathématiciens Abdelhaq El Mechdali et Omar Bejali. « Béjaïa était un des centres scientifiques au 10 et 11ème siècle.
Le mathématicien italien Leonardo Fibonacci était venu dans la région. El Mechdali avait proposé d’écrire les chiffres en usant d’angles géométriques. Une rencontre de scientifiques s’était déroulé en 1186 et avait adapté par consensus la proposition de Mechdali, popularisé par Fibonacci en Europe », a-t-il expliqué.
Il a rappelé que le mathématicien arabe andalous Muhammad Al-Qalasâdî (1412-1486) avait fait ses études à Tlemcen, autre centre du savoir en Afrique du Nord. Le symbolisme algébrique et l’arithmétique modernes doivent beaucoup à ce savant.