Moufida Tlatli, cinéaste et monteuse tunisienne, est décédée dimanche 7 février 2021 à l’âge de 74 ans. C’est elle qui a assuré le montage du long métrage « Omar Gatlato » de Merzak Allouache.
Native de Sidi Bou Saïd, dans la banlieue nord de Tunis, Moufida Tlatli se lance dans l’univers du cinéma au début des années 1970, après avoir obtenu un diplôme de montage à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) à Paris, et travaillé pour le compte de la télévision française en tant que productrice.
En 1976, elle est sollicitée par le réalisateur algérien Merzak Allouache et le producteur l’Office national pour le commerce et l’industrie cinématographique (ONCIC) pour le montage du « Omar Gatlato », l’un des meilleurs films algériens de ces cinquante dernières années. Deux ans après, elle monte le long métrage « Nahla » de l’algérien Farouk Belloufa.
Monteuse numéro 1 au Maghreb
Elle collabore ensuite avec la palestinien Michel Khleifi en 1980 pour le montage du documentaire « La mémoire fertile ».
En 1984, Moufida Tlatli est déjà la monteuse numéro 1 en Tunisie et au Maghreb. Elle assure avec brio le montage du long métrage « Les baliseurs du désert » de Nacer Khémir qui obtenu le prix de la première œuvre aux 10e Journées cinématographiques de Carthage.
Farid Boughdir, alors jeune cinéaste, fait appel en 1990 à Moufida Tlatli pour le montage de « Halfaouine, l’enfant des terrasses », l’un des films les plus primés du cinéma tunisien. Il a été consacré dans plusieurs festivals en Egypte, aux Etats Unis, en Espagne, au Canada…
Au-delà du scénario, le succès de cette fiction vient également du montage intelligent et soigné de Moufida Tlatli.
Le monde du non-dit
En 1994, Moufida Tlatli réalise et monte « Samt Al Qossour » (« Les Silences du palais ») son premier long métrage. Un film qu’elle a longtemps et soigneusement préparé, nourrie par le désir de dénonciation.
Co-écrit avec le cinéaste Nouri Bouzid (pour les dialogues), le film plonge dans l’intérieur d’un palais où un bey règne en maitre sur ses femmes et servantes. Alia, adolescente, découvre ce monde où le non-dit côtoie l’interdit et découvre sa féminité naissante aussi.
Moufida Tlatli a, en quelque sorte, brisé le silence qui entoure l’asservissement sexuel et corporel des femmes, caché par le paraitre brillant des palais et des beaux habits.
Hend Sabri pour la première fois au cinéma
Le film, qui donne de la place au chant oriental, expressif et douloureux, obtient le Tanit d’or aux Journées cinématographiques de Carthage, la Tulipe d’or au Festival international du film d’Istanbul et une mention du jury de la Caméra d’or au Festival de Cannes.
Hend Sabri, qui a joué le rôle de Alia, est apparue pour la première fois au grand écran dans « Les silences du palais ». Idem pour Khedidja Ben Othmane.
Hend Sabri est devenue aujourd’hui un star du cinéma et de la télévision arabes. « Moufida Tlatli m’a donné l’amour d’une mère lors du tournage. Elle était très tendre avec moi. Elle m’a donné de la confiance pour jouer. Elle ne m’a fait trop compliqué les choses, je ne pouvais pas me tromper », s’est souvenue Hend Sabri.
« La saison des hommes »
Encouragée par le succès de son premier long métrage, Moufida Tlatli, sans s’éloigner de son premier sujet, aborde dans « La saison des hommes », en 2000, l’attente parfois douloureuse des épouses. Des épouses dont les maris travaillent à Tunis, loin de Djerba où elles vivent.
L’absence des époux nourrit les fantasmes, les passions et les peines. Présenté dans la section « Un certain regard » au Festival de Cannes, le long métrage est critiqué en Tunisie. La cinéaste est accusée de maintenir la femme tunisienne dans la posture de la « soumise ».
« Nadia et Sarra » est le troisième et dernier long métrage de Moufida Tlatli. Sorti en 2004, cette comédie dramatique explore la relation mère-fille sous un autre angle. C’est aussi une réflexion sur la situation de la femme, passée un certain âge. Il est évident que la femme est le dénominateur commun des trois longs métrages de Moufida Tlatli.
« Je ne choisis par mes sujets, cela me sort des tripes. Il s’agit de sujets obsédants, maladifs dont j’ai besoin de faire sortir de moi », a-t-elle confié dans une interview. La cinéaste s’est éloignée des plateaux de tournage en raison de la maladie de sa mère.
Ministre de la Culture en 2011
En 2001, elle fait partie du jury du Festival de Cannes. Dix ans plus tard, Moufida Tlatli est nommée ministre de la Culture dans le gouvernement d’union nationale de Mohamed Ghannouchi, désigné après la chute du régime de Zine Al Abidine Benali, en janvier 2011. Elle reste à ce poste que dix jours.