Dans son atelier, rue des Fontaines, à Alger-centre, en voyant Mourad Bensadok, au milieu des livres, des tissus, cuirs et de vénérables machines, on comprend vite que la reliure est pour lui autant un métier qu’une philosophie.
Un livre relié est un indice de sa valeur, mais il comporte aussi la main de l’artisan relieur doreur et de son savoir-faire ancestral. Pour Mourad, le relieur ne fait pas que restaurer un livre, il lui redonne vie. Il coud ses déchirures, l’habille d’une couverture plus solide, et restaure ainsi l’esprit de son auteur.
« Je fais ce métier depuis plus de 20 ans, à chaque fois que j’ai un livre entre les mains j’apprends de nouvelles choses. Un livre raconte bien plus qu’une histoire, la qualité du papier, l’assemblage des feuilles, la forme du dos du livre, la matière de la couverture, ces détails et bien d’autres forgent son identité. C’est pourquoi j’exige de moi-même de ne jamais dénaturer le livre. Je restaure en prenant en compte chaque détail » souligne Mourad Bensadok.
Pour se rendre à l’atelier de relieur de Mourad Bensadok, il faut emprunter la montée de la rue des fontaines. Avant d’arriver au bout de la rue, il est discrètement niché au pied d’un immeuble. En franchissant le seuil de la porte, tout un univers qui s’offre aux visiteurs. Des machines en bois et en fonte occupent l’espace de l’atelier. On remarque d’abord ce qui nous est familier ; des livres en pile rangés dans des coins, des tissus, et du papier. Le reste, machines et outils rudimentaires, sont un grand mystère pour un non initié.
La passion de Mourad Bensadok pour son métier, s’exprime dans sa manière de manier le livre qu’il restaure. Installé derrière son plan de travail, d’un geste délicat et attentionné, il retourne le livre dans tous les sens, vérifie sa couture, l’épaisseur du papier avant d’entamer le travail. La reliure est un métier qui demande patience et précision, dira-t-il
Couseuse Massicot et Presse !
La restauration du livre passe par de nombreuses étapes et cela dépend de l’état du livre. Si le livre est très détérioré et vieillot, la délicatesse est de mise pour chaque étape. Les premières étapes consistent à détacher les feuilles ce qui permet de voir son état de détérioration. Il utilise ensuite le papier pelure avec de la colle pour réparer les déchirures.
Le rôle des machines et déterminant dans la restauration ; la presse, le cousoir, la couseuse et le massicot. Très esthétiques, certaines sont en bois et d’autres en fonte. « Ces machines centenaires que vous voyez-là ont toutes un rôle dans le processus de restauration. Malgré leur allure imposante, elles ne nécessitent pas un grand entretien, il suffit juste de les graisser régulièrement et elles donneront le meilleur d’elles-mêmes » précise Mourad Bensadok .
Pour ne pas se perdre dans les détails techniques, Mourad tente de simplifier le rôle de chacune. Il dira que la presse a un rôle de serrage pour maintenir la colle. Les livres y restent 24 heures. La couseuse, comme son nom l’indique, coud les cahiers du livre avec du fil textile. Le cousoir est utilisé pour les livres anciens qui exigent un travail délicat. Pour former l’arrondit du dos du livre, l’artisan utilise une presse horizontale. Pour faire l’arrondissure, il tape sur le dos du livre avec un marteau. Et le massicot, une machine à couper le papier.
Pour les couvertures des livres, Mourad utilise des matières nobles ; du cuir, du daim, du velours, mais aussi de la toile, parfois du bois et même de la toile de jute. Le cuir, contrairement aux autres matières, doit être travaillé. « Le cuir est la matière la plus difficile à travailler car il faut le tanner et le parer. A l’aide du couteau à parer je diminue l’épaisseur du cuire pour l’adapter à celle du livre » souligne Mourad.
La dernière étape, ce sont les dorures. Grâce aux fers à dorer, de petits outils qui ressemblent à des tampons, l’artisan reproduit les motifs sur les couvertures des livres. Ses clients ? Des administrations, des doctorants qui apportent leurs thèses, des particuliers mais surtout des collectionneurs. Certains livres rares, ont plus d’un siècle.
« C’est toujours gratifiant d’aboutir à un bon résultat, mais c’est aussi une séparation de le rendre à son propriétaire. On noue une relation avec le bouquin que seul un relieur peut comprendre » dit-il.
Un métier…une histoire de famille
Ce savoir-faire, Mourad le tient de son défunt père. Maitre artisan relieur, Abd El Aziz Bensadok, a été diplômé de ce qu’on appelait à l’époque la société des beaux-arts d’Alger en 1950.
« Mon père a enseigné l’art de la reliure à l’école de des beaux-arts de Genève. Il a travaillé dans des imprimeries nationales pendant la colonisation avant d’être arrêté et condamné à mort par l’armée française pour ses activités de moudjahid. Il recouvre sa liberté après l’indépendance et crée cet atelier en 1967 qui était aussi une imprimerie » raconte Mourad.
Mourad et ses trois autres frères et sœurs ont grandi dans cet univers. Leur père ne leur a pas imposé son métier, d’ailleurs ils sont dans des domaines différents, mais ils maîtrisent tous le métier de leur père.
« J’ai deux sœurs et un autre frère. Comme moi ils connaissent ce métier que nous avons appris naturellement en reproduisant les gestes de notre père. Pour ma part, j’ai eu la chance de beaucoup voyager ce qui m’a permis de découvrir de métier de relieur dans plusieurs pays et de m’améliorer continuellement » indique Mourad.
Pourquoi relier ? Mourad répondra simplement « pour relire ». La valeur du livre prend tout son sens en observant Mourad travailler. Il ne lésine sur aucun effort pour redonner une nouvelle jeunesse aux livres les plus anciens. Il les répare et embellit et prolonge ainsi leur cycle de vie. La reliure est pour lui bien plus qu’un métier, c’est une passion, une philosophie de la patience et du travail bien fait.