Mourad Senouci, directeur du Théâtre régional Abdelkader Alloula d’Oran (TRO), est l’initiateur du Centre de ressources théâtrales récemment ouvert à El Bahia.
24H Algérie : Vous avez lancé l’initiative d’ouvrir un centre de ressources ou d’archives théâtrales à Oran. Quel est l’objectif de ce centre, le premier du genre en Algérie ?
Mourad Senouci: Notre objectif final est de créer un centre national de ressources théâtrales. Cela fait des années qu’on en parle sans qu’il ait un vrai projet. Nous avons donc commencé avec cette initiative avec ce que nous avons à notre portée, le fond d’archives réuni par la Fondation Abdelkader Alloula. Le centre de ressources théâtrales, qui porte le nom d’Alloula, est riche d’un millier de documents. Il s’agit de textes dramaturgiques et de scénarii ainsi que de la bibliothèque personnelle d’Alloula. Il y a aussi un press book, tout ce qui a été écrit sur l’œuvre du dramaturge, et les pièces filmées. A cela s’ajoutent, toutes les thèses et recherches universitaires sur Alloula faites en Algérie ou à l’étranger en arabe, en anglais, en français et en espagnol .
Le centre a-t-il reçu d’autres contributions ?
Oui. Le CRASC (Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle) nous a envoyé toute la documentation qu’il possède sur le théâtre. Le Théâtre national algérien Mahieddine Bachtarzi d’Alger (TNA) nous a envoyé les enregistrements vidéo de toutes les pièces jouées durant les différents festivals. Le journaliste, critique et écrivain Bouziane Benachour nous a donné aussi ses archives de théâtre. Nous avons conclu un accord avec l’association Cartena de Mostaganem pour nous fournir les copies de tout ce qui a été réuni autour de l’oeuvre du dramaturge Ould Abderrahmane Kaki (« El Guerrab ou salhine », « Diwan el gargouz », « Koul wahed ou hakmou », etc).
Le centre sera-t-il ouvert à d’autres grands noms du mouvement théâtral algérien ?
Oui. Nous avons déjà des documents au niveau du TRO sur Hadjouti Boualem, Mohamed Addar et Mohamed Bakhti que nous allons remettre au centre. Nous n’avons pas voulu l’appeler un centre d’archives car cela a une connotation figée. Pour nous, les archives doivent être vivantes. Nous proposons de la matière pour les chercheurs sur les auteurs, les metteurs en scène, les scénographes et les comédiens algériens. Nous préservons cette matière. Nous cherchons des financements pour passer à la numérisation de tous les documents. L’objectif est d’avoir des archives en physique et en virtuel.
Avez-vous créé une plateforme ?
Nous avons créé une plateforme qui s’appelle provisoirement « TRO Mémoire ». Elle pourrait s’appeler après « Ressources théâtrales algérienne » qui sera alimentée au fur et à mesure. Le département des arts dramatiques de l’université d’Oran, nous a donné une centaine de thèses et mémoires numérisés.
Grâce à la technologie tout est possible lorsqu’on a une vision. Trois jours après l’ouverture du centre, nous avons reçu d’Espagne un livre écrit en castillan par une algérienne sur la trilogie d’Alloula. C’est une thèse de doctorat. Tout ce que nous recevons est certifié par un huissier de justice. Nous voulons être au service de tous les auteurs et metteurs en scène de l’Algérie, pas d’Oran uniquement.
Avez-vous reçu d’autres documents sur des artistes algériens ?
Nous avons une promesse pour avoir la documentation de M’Hamed Benguettaf, Taha Lamiri et Mustapha Kateb. Les troupes amateures qui sont en quête de textes de pièces de théâtre peuvent les trouver à notre niveau. Le centre contribue à rendre plus visibles les auteurs, et redynamise la recherche scientifique. Les gens ont maintenant une adresse où chercher et où mettre leurs documents. Toute personne ayant des archives ayant un rapport avec le théâtre algérien peut nous le remettre en toute confiance. Une fois reçus, nous enregistrons, certifions et conservons les documents avant de leur faire de la promotion et de les numériser.
Où se trouve le centre ?
Le centre est installé au niveau du Théâtre régional Abdelkader Alloula d’Oran (TRO). Nous avons une salle située au quatrième étage, utilisée comme une salle de lecture (lecture de textes avant mise en scène), que nous avons transformé surtout que nous ne faisons que quatre ou cinq lectures de théâtre par an.
La salle, qui était sous-utilisée, a été équipée pour recevoir le centre avec du matériel informatique et du data show. Nous allons organiser de temps en temps des projections d’anciennes pièces pour les étudiants et les chercheurs. C’est un centre de conservation mais qui aura ses propres activités. Prochainement, nous allons présenter la thèse de M’Hamed Djellid (ami proche d’Abdelkader Alloula) sur le théâtre algérien de 1945 à 1980 ( « Essai d’approche sociologique des tonalités groupales, expressives et super-structurelles »).
Le débat sur Djellid sera filmé et archivé au niveau du centre pour devenir une ressource. Nous allons filmer les témoignages des acteurs du théâtre. Ce que nous filmons en 2022 devient précieux dans dix ans… C’est une approche scientifique au service du théâtre.
Et le centre commence à recevoir des visiteurs…
Oui, les gens rendent des visites, prennent des photos. Les hommes de culture, comme Yasmina Khadra et Amin Zaoui, font de la promotion pour le centre sur les réseaux sociaux. Nous sommes ravis par ce soutien autant que par celui de simples citoyens. Nous voulons du concret. Agir pour préserver la mémoire du théâtre au lieu d’en parler seulement. Les amis qui veulent monter des centres similaires dans d’autres théâtres, nous sommes prêts à partager avec eux notre petite expérience…après on aura sûrement un grand centre national.
Vous comptez organiser en juin prochain les premières Journées du théâtre méditerranéen. Parlez-nous de ce projet ?
Nous comptons organiser ces Journées du 28 juin au 5 juillet 2022 en partenariat avec le Théâtre national Mahieddine Bachtarzi (TNA) d’Alger à la faveur des Jeux Méditerranéens qui se déroulent à Oran (du 25 juin au 5 juillet 2022). Six pays seront invités à ces journées.
Il s’agit de la Tunisie, l’Egypte, l’Italie, la France, l’Espagne et l’Algérie. Notre objectif est de restituer cette édition pour l’instituer en tant que festival plus tard. Oran reste la seule grande ville avec un grande théâtre qui n’a pas de festival. Une festival de théâtre méditerranéen convient à la ville d’Oran. C’est une ville méditerranéenne qui a tous les atouts. En matière d’organisation, le TRO est aux normes (accueil, supports électroniques, etc).
Il est question aussi d’un festival de théâtre de rue à Oran…
Oui. C’est un festival qui est prévu du 25 au 28 juin 2022. En 2018, le TRO a organisé un événement ayant une relation avec le théâtre de rue. Pour nous, c’est un genre théâtral à développer et à soutenir. Il participe à l’animation, à la formation et au rapprochement. Nous avons donc fait une proposition au ministère de la Culture et des Arts qui a été acceptée.
Le comité d’organisation des Jeux Méditerranéens a applaudi l’initiative. Une trentaine de représentations sont prévues en quatre jours. Nous allons être présents dans les places et les jardins d’Oran y compris celles et ceux qui sont peu connus. C’est une manière de faire connaître le patrimoine de la ville à travers le théâtre. Il y aura des spectacles pour adultes et pour enfants : marionnettes, clowns, pièces, goual…Déjà, il y a des quartiers et des centres commerciaux qui prennent contact avec nous pour programmer des spectacles. Nous avons un retour d’un investissement engagé depuis des années.