Mustapha Mekideche, expert économique : « L'Algérie doit revenir à la pétrochimie, un pari à gagner»
Mustapha Mekideche, expert économique : « L'Algérie doit revenir à la pétrochimie, un pari à gagner»
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Mustapha Mekideche, expert économique international, ex-vice-président du Conseil national économique et social (CNES) et ancien conseiller au ministère de l’Energie, analyse la conjoncture pétrolière après le dernier accord de l’OPEP et ses alliés.

24H Algérie : Après l’accord OPEP +, signé en avril 2020, sur la réduction de production de presque dix millions de baril par jour à partir de mai 2020, quel est l’impact sur le marché pétrolier d’autant plus que les prix ne semblent pas repartir à la hausse ?

Mustapha Mekideche: Après la signature de l’accord de l’OPEP et de ses alliés, nous étions dans l’euphorie du court terme. Pour moi, les prix vont se stabiliser entre 35 et 40 dollars et non pas entre 40 et 45 parce qu’il y a toujours des incertitudes. La crise que nous avons connu est celle de la demande. Cette demande est en train de repartir en Chine, aux Etats Unis et en Europe de façon inégale. En fonction du volume de cette reprise qui sera induit par les besoins énergétiques nouveaux, notamment en hydrocarbures, que la situation va évoluer. Les prix du brut sont entrain de se stabiliser actuellement. Il faut noter que l’accord OPEP + est solide, reconduit avec l’accord indirecte des Etats Unis. Les Etats Unis ont baissé de deux millions barils/jour leur production. Ceci dit, il faut attendre la fin de 2020 pour avoir une idée sur l’amplitude de l’offre et de la demande. Il existe toujours un risque de retour au confinement sanitaire dans le cas d’une deuxième vague du Coronavirus. Et, il y a toujours de l’incertitude notamment dans le transport aérien et dans les chaînes de logistique et de valeurs internationales. Il faut aussi retenir l’effort financier déployé hors règles conventionnelles et hors doctrines néo-libérales par les banques centrales et les gouvernements notamment ceux de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). A mon sens, il ne faut pas trop s’inquiéter sur ces oscillements des prix surtout que la réduction de la production pétrolière est prolongée jusqu’à fin juillet 2020. L’OPEP + tiendra compte de l’évolution de la demande mondiale.

Le prix du baril du pétrole ne dépassera-t-il donc pas les 50 dollars?

Dans la demande mondiale, ce qui est incompressible, sont la pétrochimie et la mobilité. Par mobilité, on entend les avions qui fonctionnent toujours au kérosène et les voitures qui roulent au carburant malgré tout ce qui se dit à propos de la voiture électrique. La demande en pétrochimie va encore augmenter. Elle ne peut pas se passer des hydrocarbures liquides et gazeux. Pour les énergies alternatives, il existe toujours des problématiques à régler par rapport au stockage et à la production de masse notamment pour l’électricité concentré. Donc, on aura besoin de gaz naturel pendant plusieurs décennies encore. Et probablement d’hydrocarbures liquides. Dès que la reprise sera amorcée de façon stable sur un pallier durable, les prix du baril vont augmenter à 60 ou 70 dollars.

Vers 2021 ?

On peut même aller jusqu’à 2022. Les investisseurs sont craintifs par définition. Donc, il y a aura report des investissements dans le secteur des hydrocarbures. Cela a commencé dès le début 2020. On ne le souhaite pas, mais l’offre peut, à un moment donné, ne pas être présente pour couvrir la demande, et dans ce cas, le marché sera erratique avec des prix en augmentation qui, tout compte fait, n’arrangent personne, ni les producteurs ni les consommateurs.

Et l’Algérie dans tout cela? Comment peut-elle s’adapter à cette conjoncture pétrolière difficile?

L’Algérie doit d’abord assurer sa production. Depuis 2007, la production des hydrocarbures a commencé à décliner. Il va donc falloir trouver des investisseurs. La nouvelle loi sur les hydrocarbures offre de meilleurs avantages par rapport à la précédente. Sonatrach doit mieux s’organiser et attirer des partenaires pour donner une deuxième vie à des gisements vieillissants. C’est une priorité. Concernant le placement des quantités produites, il n’y a pas de problème majeur. Ce qui s’est passé en Espagne était un problème de conjoncture de court terme. Ce n’est pas l’importation par un opérateur espagnol du GNL des Etats Unis qui va changer le caractère stratégique des exportations algériennes de gaz naturel vers l’Espagne et l’Italie, des marchés historiques. L’Algérie doit, à mon avis, revenir à la pétrochimie et à la gazochimie. Nous avons accumulé beaucoup de retard. Nous n’avons pas réussi cet exercice alors que nous avons réussi des exercices plus compliqués comme celui du GNL et des transports intercontinentaux et interocéaniques de gaz naturel. Il n’y a pas de raison pour qu’on ne gagne pas le pari de la pétrochimie. Il y a des besoins et un marché. Aucune raison aussi pour qu’on exporte du gaz, du pétrole et des produits raffinés pour les importer ensuite sous forme de produits pétrochimiques. C’est aberrant.

Qu’en est-il du management de Sonatrach?

Beaucoup d’efforts sont à faire en terme de gestion, de formation, de staffing et de choix des hommes. Les cadres doivent être sécurisés et stabilisés. Il ne faut pas changer de direction chaque mois dans une entreprise pétrolière de la taille de Sonatrach. Sonatrach doivent être mis à l’abri des jeux politiciens.

Pensez-vous que la nouvelle loi sur les hydrocarbures va attirer les investisseurs étrangers dans le futur en Algérie?

Même si le timing et la forme de son adoption n’étaient pas adéquats, l’architecture, le fond et les principes de la loi expriment un grand progrès. Des leçons ont été tirées sur le fait que nous ayons échoué à intéresser de grands investisseurs dans le secteur. On constate un retour à la simplification, à la loi de 1986, révisée en 1991. Cela va sécuriser davantage les investisseurs. Cette loi est un cadre plus attractif.

Certains évoquent la nécessité d’exploiter le gaz de schiste en Algérie. Le débat est toujours vif sur la question compte tenu des conséquences sur l’environnement et les ressources hydriques. Quelle est votre analyse?

Tactiquement, ce n’est pas le moment car nous sommes en surabondance de l’offre. Ce qui est conjoncturel. Dès que la demande reprend de façon significative, reviendra le débat sur cette énergie non conventionnelle. Avec l’évolution très rapide de la technologie d’exploration et de production, en terme de sécurité et d’utilisation d’eau, le débat sera plus serein sur l’exploitation du gaz de schiste. Tôt ou tard, l’Algérie, pour son indépendance énergétique, va recourir à cette ressource pour pouvoir accompagner mieux la transition énergétique notamment dans l’électrosolaire. Il s’agit de perspectives qu’il faut bien prendre en compte.

Sonatrach évolue à l’international depuis plusieurs années. Quel bilan faut-il établir sur cette stratégie?

Sonatrach est déjà présente en Libye dans l’amont pétrolier. Aussi, la stabilité de ce pays est-elle importante pour nous. Je dirigeais l’Entreprise nationale d’engineering pétrolier (ENEP, créée en 1983 et dissoute en 2003), quand la Libye était sous embargo. A l’époque, une quarantaine d’ingénieurs algériens de l’ENEP travaillaient pour aider la Libye à exploiter, maintenir et développer le complexe pétrolier de Ras Lanouf (à 600 km à l’Est de Tripoli sur la côte méditerranéenne). Nous étions présents aussi en Mauritanie dans les années 1980 où nous avons remis en état la raffinerie de Nouadhibou (480 km au nord de Nouakchott). Pour la pétrochimie, l’investissement engagé dernièrement par Sonatrach en Turquie est intéressant (avec le groupe Rönesans Holding). Cela permet à Sonatrach d’être un acteur dans la pétrochimie euroméditerranéenne en produisant du propylène avec un partenaire turc (il s’agit d’un complexe de transformation de propane en polypropylène utilisé en pharmacie et en textile). Cela sécurise aussi nos exportations de GPL notamment de propane. Nous sommes concurrencé par l’Arabie Saoudite dans l’exportation de ce gaz ainsi que du butane. Reste à établir le bilan de la présence de Sonatrach au Pérou dans le domaine du transport de gaz. Le transport n’a jamais été cette activité qui rapporte le plus en terme de cash flow. Il va falloir rectifier aussi notre plan raffinage surtout avec l’existence de quatre raffineries au niveau national, certaines en projet, et le rachat de la raffinerie en Italie (Augusta repris à ExxonMobil). La Sonatrach est tenue de réduire ses investissements de moitié en raison des difficultés financières actuelles.

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