13 mai 1958: Le mythe de l’Algérie française

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13 mai 1958: Le mythe de l'Algérie française
13 mai 1958: Le mythe de l'Algérie française
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13 mai 1958: Le mythe de l’Algérie française.

En 1958, la guerre d’Algérie est à son paroxysme et va précipiter la chute de la IVème République. A Paris, La confusion est totale. De Gaulle est à l’affût et se tient prêt pour le cas où.

A Alger, le 13 mai 1958, un groupe d’officiers supérieurs français, avec à leur tête Massu, passe à l’action et prend le pouvoir à Alger, renvoie le Gouverneur Général désigné par le gouvernement et impose un nouvel ordre par la création de Comités de Salut Public.

Ces officiers exigent surtout le retour du Général De Gaulle, seul selon eux capable de garder l’Algérie dans le giron français. Ils mettent en scène également ce qu’ils ont appelé une fraternisation entre les deux communautés musulmane et européenne. Une fraternisation factice, de circonstances, et qui en fait ne trompait personne parmi la population musulmane, sauf ceux qui voulaient y croire pour de sordides intérêts et qu’on appelait avec grand mépris «les cartes blanches », c’est-à-dire la pire des insultes.

Cette mascarade comme l’histoire en a tant connu va être jouée dans plusieurs villes d’Algérie, avec plus ou moins de succès, comme une pièce de théâtre tragicomique. Comique par la légèreté des acteurs qui découvraient comme par enchantement l’existence d’une population non européenne, ignorée jusque-là, mise à l’écart et sans droits, bref colonisée pour tout dire. Tragique parce qu’il y allait de l’avenir du peuple algérien luttant pour son indépendance et faisant face à une répression des plus féroces par ceux-là mêmes qui organisaient « la fraternisation ».

Moment le plus marquant : le dévoilement public des femmes musulmanes selon un scénario bien rodé : des femmes voilées montaient à la tribune officielle et jetaient leur haïk à terre. Il faut croire que la France actuelle a gardé jusqu’à aujourd’hui le souvenir de «ce temps béni » du dévoilement.

La ville de Skikda, fondée sur les ruines de la cité antique en 1838 sous le nom de Fort de France par l’armée coloniale qui y débarqua, puis baptisée Philippeville en l’honneur du roi Louis-Philippe, était une des rares villes à majorité européenne. Pendant la guerre de libération, elle connut une répression des plus barbares lors du soulèvement du 20 août 1955, et les corps des milliers de victimes furent enterrés au stade municipal, dans une fosse commune creusée à l’aide d’un bulldozer toujours visible dans ce même stade.

En 1958, l’armée française est donc très présente, d’autant plus que le sinistre Bigeard y avait son Centre d’instruction des cadres. Même le non moins sinistre Aussaresses y avait fait un séjour tristement remarqué avant d’être rappelé à Alger où il allait faire parler de lui dans l’exécution ignoble de Larbi Ben M’hidi.

La ville va donc organiser une fraternisation aux couleurs locales, pour bien montrer l’attachement de tous à la mère patrie et montrer encore une fois que l’Algérie c’est la France. Pour qui connaît Skikda sait que la ville possède une seule artère principale bordée d’arcades et qui débouche sur une grande place faisant face à l’Hôtel de Ville au style néo-mauresque. A mi-parcours, il y avait un grand square aujourd’hui transformé et qui abritait le monument aux morts français. C’est là que se tenait la cérémonie officielle.

L’endroit est déjà occupé par tout ce que la ville possède de personnalités civiles et militaires toutes endimanchées et bardées de médailles au mérite pour le moins incertain. Mais le plus pénible spectacle était en réalité donné par les « notables musulmans », c’est-à-dire ceux qui avaient « fraternisé » bien avant cette date et étaient considérés unanimement comme étant des harkis en costume et cravate, des cartes blanches.

Mais tout cela ne faisait pas grand monde et la fête ne devait en aucune façon être gâchée. Il fallait rameuter le maximum de monde, par tous les moyens, y compris par la coercition : en 1958, c’est la spécialité de l’armée. Rafler des populations démunies et sans défense, les Saint-Cyriens savaient faire.

Scander «Algérie française» sans montrer qu’ils le faisaient sous la contrainte

Il était plus facile pour l’armée française de rafler de pauvres campagnards dans les douars environnants que de faire sortir des citadins de leurs maisons. C’est ainsi que des dizaines de camions chargés d’hommes, de femmes et d’enfants sont ramenés des environs au centre-ville, lieu des cérémonies prévues, avec pour seul mot d’ordre: scander «Algérie française» sans montrer qu’ils le faisaient sous la contrainte.

Trahir, mais avec le sourire s’il vous plaît ! Et tout cela sous le regard inquisiteur des citadins, pour cette fois épargnés. J’imagine l’état d’esprit dans lequel étaient plongés ces pauvres bougres, embrigadés dans une aventure qui n’était pas la leur, qui ne pouvait pas être la leur et qu’ils rejetaient de tout leur cœur.

Les premiers camions approchaient et leurs occupants pressés par les militaires de scander le fameux slogan : « Algérie française ». Mais le cœur n’y était pas du tout et tous affichaient leur mauvaise volonté. C’est au moment où les camions entraient en ville que, par on ne sait quel élan de génie, le slogan se transformait en un formidable جيوبنا بسّيف « ja-bou-na be-ssif », donnant aux français la sonorité qu’ils désiraient et aux autres la justification de leur situation. L’honneur des douars était sauf et seuls étaient disqualifiés ceux qui pavanaient de plein gré avec l’ennemi.

Comme disait Giap, les impérialistes sont de mauvais élèves : ils s’obstinent dans leur ignorance. Les Français ont tout fait pour se convaincre et convaincre le monde que l’Algérie c’est la France.

Le peuplement européen permettait et justifiait à leurs yeux cette illusion de l’Algérie française. Mais ils n’ont jamais pu convaincre les Algériens. Astérix ne peut pas être notre ancêtre et la population européenne s’évaporera le 5 juillet 1962, comme si jamais elle n’y mit les pieds.

Me vient en mémoire la déclaration nette de Ben Badis qui lève toute équivoque : «Cette population algérienne n’est pas de la France, ne peut pas être de la France, ne veut pas être de la France».

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