Le candidat du parti au pouvoir au Nigeria, Bola Tinubu, vainqueur de l’élection présidentielle dans le pays le plus peuplé d’Afrique, a appelé mercredi ses rivaux à travailler « ensemble », à l’issue d’un scrutin contesté par l’opposition qui a dénoncé des fraudes.
Selon la Commission électorale (Inec), Bola Tinubu, du Congrès des progressistes (APC), a cumulé plus de 8,8 millions de voix, soit 36%, remportant l’une des élections les plus disputées de l’histoire démocratique du Nigeria, face à ses deux principaux concurrents.
Atiku Abubakar, le candidat de la principale formation de l’opposition (le PDP, qui dirigea le pays de 1999 à 2015), a recueilli 29% des suffrages. L’outsider Peter Obi, du Parti travailliste (LP), dont la popularité auprès des jeunes a donné un nouvel élan à la campagne, a remporté 25%.
Peu après les résultats, les partisans de M. Tinubu ont accueilli en chantant leur « Jagaban » (chef) à son siège de campagne au beau milieu de la nuit. « C’est un moment exceptionnel dans la vie de tout homme, et une confirmation de notre existence démocratique », a-t-il déclaré.
« J’appelle mes concurrents à faire équipe ensemble. C’est la seule nation que nous ayons », a-t-il lancé à l’intention de l’opposition, qui l’a accusé de fraudes « massives » et a demandé l’annulation de l’élection.
« Nous devons travailler dans l’unité » pour « recoller les morceaux brisés », a-t-il insité.
Lors d’un nouveau discours à Abuja mercredi, le vainqueur s’est cette fois adressé aux Nigérians. « Je vais travailler nuit et jour pour vous, surtout les jeunes », a-t-il promis. « Je vous demande de nous rejoindre pour que nous puissions commencer à reconstruire ensemble notre foyer national ».
Le Nigeria compte 216 millions d’habitants – dont 60% a moins de 25 ans – et devrait devenir en 2050 le troisième pays le plus peuplé au monde, dans une Afrique de l’Ouest menacée par un recul démocratique et la propagation de violences jihadistes.
« Dépités »
Les candidats malheureux n’avaient pas encore réagi publiquement mercredi après-midi, mais le colistier de M. Obi, Yusuf Datti Baba-Ahmed, a prévenu: « Nous irons au tribunal », a-t-il dit, tout en exhortant ses partisans à « rester calmes et pacifiques ».
Cette victoire laisse en tout cas un goût amer à une partie de la jeunesse, qui avait placé ses espoirs de changement en la personne de Peter Obi.
Cet ancien gouverneur de 61 ans, vu comme intègre, s’était imposé comme le candidat de la rupture face à la vieillissante élite nigériane, réputée corrompue.
« Nous sommes dépités », a lancé Nikodemos Daniel, un conducteur de moto de 27 ans à Onitsha (sud-est). « Tinubu est l’un des pires. C’est un homme corrompu et méchant, je ne lui fais pas confiance ».
L’ascension politique de M. Tinubu a été rythmée par maintes accusations de corruption, sans qu’il ne soit jamais condamné et qu’il a toujours niées.
Le président sortant Muhammadu Buhari, 80 ans, qui se retire après deux mandats comme le veut la Constitution, a salué la victoire de M. Tinubu: « Élu par le peuple, il est la meilleure personne pour ce poste ». Et s’il a reconnu des « failles » dans le processus électoral, dénoncées par de nombreux observateurs, pour lui, elles n’ébranlent en rien la « régularité » du scrutin.
Le taux de participation officiel n’est pas encore connu, mais il serait faible d’après les premières estimations: autour de 30%, soit à peu près comme en 2019 (33%), selon l’ONG nigériane Yaga Africa.
« Simulacre » d’élection
A Lagos, mégapole de 20 millions d’habitants, hormis de petits rassemblements où des jeunes exultaient et agitaient des drapeaux du parti au pouvoir, la vie reprenait son cours mercredi sans grande effusion de joie.
« Le pays doit aller de l’avant », commentait Abiola Adesina, un chauffeur de 47 ans. »Oui, il est vieux, mais il est ouvert d’esprit et il va garantir l’unité de notre pays ».
La première économie du continent est devenue une puissance culturelle mondiale, grâce notamment à l’afrobeats, genre musical qui enflamme la planète avec des stars comme Burna Boy.
Mais M. Tinubu héritera surtout d’une myriade de problèmes. Pendant quatre ans, il aura la lourde tâche de redresser le géant anglophone plombé par une économie en berne, les violences récurrentes de groupes armés et de bandits, ainsi qu’un appauvrissement généralisé de la population.
Longtemps donné grand favori dans cette élection, ce Yorouba de confession musulmane avait pourtant vu son avance se réduire au fur et à mesure de la campagne, en raison de la popularité grandissante de Peter Obi, puis de graves pénuries qui ont aggravé la colère déjà grande des Nigérians contre le pouvoir, au bilan désastreux, entre explosion de l’insécurité et du coût de la vie.
Plus de 87 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes samedi. Le vote s’est globalement déroulé dans le calme.
Depuis le retour de la démocratie en 1999, le Nigeria a organisé sept élections nationales, qui ont quasiment toutes été contestées.