Le prix Nobel de littérature 2020 est revenu à la poétesse américaine Louise Glück. C’est le 113 ème prix attribué par l’Académie de Stockholm depuis son lancement en 1901. Et c’est le treizième auteur américain primé depuis cette date, le premier fut Sinclair Lewis en 1930.
Malgré les critiques et les observations faites partout dans le monde, l’Académie donne l’impression de ne s’intéresser qu’à la littérature européenne et nord-américaine. Les chiffres le prouvent largement. Depuis 1901, les auteurs d’une poignée de pays ont reçu le Nobel de la littérature : France(15), Royaume Uni (11), Allemagne (8), Suède (8), Espagne (6), Italie (6), Pologne (5), Irlande (4), Danemark(3), Norvège (3), ex-URSS (3), Chili (2), Suisse (2) et Grèce (2). En tout, la littérature européenne a obtenu 87 prix sur 119 attribués, soit 74 %.
Un occidentalocentrisme qui est dénoncé même en Europe. La presse suédoise a, à plusieurs reprises, contesté les choix de l’Académie. La littérature nord-américaine a décroché 14 prix, 13 pour les États Unis et 1 pour le Canada. Les littératures européenne et américaine ont obtenu 85 % des prix Nobel de littérature, ne laissant que les miettes pour le reste du monde.
Un continent aussi vaste et riche que l’Asie n’a eu que 4 Nobel de littérature : deux pour le Japon, un pour l’Inde et un pour la Chine. Ce n’est qu’à la fin des années 1960, que l’Académie, dont les membres sont élus à vie, « découvre » l’existence d’une littérature en Asie et décerne alors un prix à Yasunari Kawabata, premier asiatique à avoir cette distinction. Pourtant, dans le monde, Kawabata était déjà très célèbre avec des romans tels « Le grondement de la montagne » et « Pays de neige ».
La Pologne a plus de prix Nobel que l’Asie !
Il a fallu attendre 1994 pour voir l’Académie attribuer un autre Nobel à la littérature japonaise en consacrant Kenzaburo Oe, nouvelliste, romancier et poète, auteurs notamment de « Une affaire personnelle » et « Le jeu du siècle ».
Il a également écrit « Notes d’Hiroshima » où sont rassemblés les témoignages des Hibakusha, victimes du bombardement atomique effectué par les américains le 6 août 1945. L’immense littérature chinoise n’a été primée qu’en 2012, soit plus de 110 ans après la création du prix, avec Mo Yan. Mo Yan est le premier Nobel de littérature à visiter l’Algérie, c’était lors du 23ème Salon international du livre d’Alger (SILA) en 2018.
L’Académie suédoise n’a accordé aucun intérêt à des littératures profondément humaines et universelles comme celles de la Corée du Sud, de l’Iran, du Vietnam, de la Thaïlande ou de l’Indonésie. Résultat des courses : un pays comme la Pologne a plus de prix Nobel de littérature que toute l’Asie !
Naguib Mahfoud unique auteur arabe primé
Et la Suède a le double du nombre de lauréats que toute l’Afrique ! L’Académie du Nobel ne regarde du côté de ce continent qu’en 1986 pour attribuer le prix au nigérian Wole Soyinka qui écrit en anglais. Même en matière de langue, le jury privilégie d’une manière claire les langues européennes surtout l’anglais, le français, l’allemand, l’espagnol, l’italien, le polonais et le suédois, en tout 91 % des auteurs ayant été distingués écrivent en langues européennes.
Le nombre de locuteurs ne semble pas être pris en compte comme paramètre. Après Wole Soyinka, l’égyptien Naguib Mahfoud a obtenu le prix Nobel de littérature en 1988, comme deuxième africain et premier et unique arabe à avoir cette distinction. Les sud-africains Nadine Gordimer et John Maxwell Coetzee ont reçu le Nobel en 1991 et en 2003.
En tout, l’Afrique a obtenu quatre Nobel. La littérature arabe, pourtant ancienne, riche et diversifiée, n’a eu qu’un seul prix. L’algérienne Assia Djebar et le syrien Adonis ont été cités à plusieurs reprises comme éventuels lauréats, sans jamais être primés.
Une longue liste d’auteurs illustre ignorés
D’autres auteurs de renommée mondiale ont été « ignorés » par le Comité du Nobel comme Rainer Maria Rilke, Milan Kundera, Haruki Murakami, Gibran Khalil Gibran, Ko Un, Philip Roth, Fakhri Kawar, Federico Garcia Lorca, Djibo Bakary, Fernando Pessoa, Franz Kafka, Antonin Artaud, Mohammed Dib, Marcel Proust, Tayeb Salih, Ahmadou Kourouma, Driss Chraibi, Louis-Ferdinand Céline, Abdelwahab Meddeb,Virginia Woolf, Fadwa Touqan, Jose Louis Borges, Amadou Hampâté Bâ, Vladimir Maiakovski, Abou El Kacem Chebbi,, Grace Ogot, Paul Valéry, Hana Mineh, Cheikh Anta Diop, Ismaïl Kadaré, James Joyce, Ibrahim Al Koni, Isaac Moumé Etia, Zayd Mutee Dammaj, ..Une longue liste. Certains écrivains ont été écartés pour des considérations politiques, jugés à l’avance plus sur leurs positions que sur leurs œuvres.
Un partisan de Milosevic distingué
Même là, c’est à géométrie variable. En 2019, et malgré les critiques, le prix Nobel a été attribué à l’autrichien Peter Handke qui, ouvertement, avait soutenu l’ex-président serbe Slobodan Milosevic accusé de génocide et de crime contre l’humanité, après avoir ordonné le massacre de musulmans en Bosnie-Herzégovine dans les années 1990. L’explication donnée par l’Académie du Nobel était amusante en disant avoir « jugé exclusivement l’œuvre et pas l’homme ». Pour Borges, Céline, Kadaré ou Adonis, c’était plutôt le contraire. En 1953, la même Académie avait attribué le Nobel de littérature à l’ancien Premier ministre Britannique Winston Churchill, dont le rôle durant la deuxième guerre mondiale est très contestable, pour… « ses discours brillants pour la défense des valeurs humaines ». Étonné, Churchill a eu cette réplique historique : « tiens, je ne savais pas que j’écrivais si bien ».