Voilà plusieurs vendredis où elle s’installait sur son balcon, une couverture aux pieds.
Elle semblait être convoquée par le soleil et la lumière, la rue se levait et elle avait paré sa tête d’un foulard rouge et rose. Elle observait, scrutait les sourcils froncés et la bouche fermée.
La ferronnerie de son balcon avait rouillée, mais elle songeait aux combats qu’il fallait mener tête haute. Elle aurait voulu prendre d’assaut la rue envahie de colère et de gaieté, elle aurait fait briller les lampadaires, mais le temps avait raidi ses jambes et freiné ses désirs. Eux avaient déterré l’espoir enfoui depuis trente années et qu’on pensait scellé à jamais sous les pierres brûlantes assoiffées d’eau de fleur d’oranger et de cannelle .
Ce jour là, la nuit fut longue , trop chaude et elle était à la recherche d’un morceau de drap frais, d’un bout de tissu léger appliqué sur sa joue, d’un espace de légèreté, d’un moment de solitude sans douleur, sans lourdeur, juste en apesanteur, une pensée douce entre ses mains décharnées et son oreiller douillet .
En face de l’immeuble, sa voisine étendait le linge comme une palette quotidienne : du rouge, jaune, vert, rose . Le sourire sur le visage, elle est tout à sa tâche. La journée était chargée; la belle allongée sur un sofa sera laissée à Matisse et ses odalisques.
Elle répétait à l’infini, solitaire bien souvent, les mêmes tâches ménagères prise dans la toile quotidienne de son espace domestique comme emprisonnée par la vie.
Ne restait que l’habitude de vivre pour que la maison tourne, aucun espace pour la méditation, la contemplation, juste des rêves ou des regrets, des espoirs , le ciel ou les bougainvilliers.
Elle avait été éduquée dans la culture de l’enfermement avec, pour unique horizon, la répétitions de gestes réalisés avec minutie dans cette tragédie domestique, ordinaire somme toute, et sans fuite possible .
Pourtant la mer était juste là et le ciel bleu à jamais loin des pensées pleine de tristesse et d’ombre dans la gorge . Le soleil pouvait sécher les larmes et jouer encore de ses jours lumineux dans cette journée particulière.
Aujourd’hui on n’avait pas de nouvelles de trois jeunes hommes du quartier. Voilà une semaine qu’ils étaient partis avec dix autres jeunes vers l’Espagne par une barque…
C’était l’été, la saison où l’on roulait les tapis des salons, pour garder la fraîcheur des sols carrelés qu’on avait lavés à grande eau.