Qu’elle soit méditerranéenne, transnationale, locale, ou puisant ses références dans l’héritage ancestrale, migratoire voire postcolonial, l’émergence d’artistes de la rive sud de la Méditerranée n’est ni récente ni nouvelle .
A sa manière c’est-à-dire forte, Etel Adnan a participé à ces récits issus de ses différents exils de l’enfance à son âge avancé.
La peinture, c’est en quelque sorte résoudre un problème de langue aimait-ele dire .
En effet, les récits exiliques avec leur puissance peuvent s’opposer aux tentatives de manipulations mémorielles de récits occidental ou national desséchés, figés et excluants où qu’ils soient . »
Lorsqu’on interroge Etel Adnan sur sa pratique picturale , elle répond : « la peinture exprime mon côté heureux, celui qui fait un avec l’univers ».
Les formats sont petits, cependant ils nous parlent d’un espace infini qui les déborde.
« J’existe parce que je vois des couleurs.(…) Mais on ne peut posséder la couleur, on ne peut qu’accepter sa réalité. Et s’il n’y a pas de possibilité de possession de la couleur, il n’y a pas de possession. De qui ou de quoi que ce soit »
Et elle continue ainsi
«L’expression visuelle contourne le langage des mots. Nous portons en nous des langages autonomes destinés à des perceptions spécifiques. Il est donc inutile de traduire un ordre dans un autre » dit-elle .
À la fin des années 1950 à Harvard, Etel Adnan part enseigner la philosophie de l’art au Dominican College de San Rafael, en Californie ou un jour, un professeur d’art lui demande : « Comment pouvez-vous enseigner la philosophie de l’art sans peindre vous-même ? ».
Alors elle s’est mise à peindre sur des chutes de toile, sans se soucier ni de leur taille ni de leur forme. »
Les première œuvres d’Etel Adnan sont des compositions abstraites de couleurs pures peintes sur la toile à la spatule. Dans des années 1960, elle découvre les leporellos japonais, ces livres-accordéons où elle pourra mêler, à souhait, au gré de ses centres d’interêt et de son humeur, dessin, peinture et écriture dont elle dit «qu’il constitue son apport spécifique à la peinture, permettant un déploiement de la vision dans le temps, une narration recomposable du poème, dans un dialogue avec le dessin, l’encre, l’aquarelle ou la mine de plomb ».
Elle déroule ces leporellos sur plusieurs mètres, véritable monuments dans une forme simple comme les cercles et triangles qu’elle aime apposer sur ses toiles comme autant d’archétypes d’une architecte .
Son œuvre plurielle comprend également des films, des romans, des pièces de théâtre des dessins, des cartographies,, …
Etel Adnan n’accompagne son travail d’aucun discours théorique ou bavardage pour l’expliquer , aucune concession à l’art conceptuel qui privilégie l’intention sur l’oeuvre, encore moins au marché de l’art sur ses besoins de grands formats pour créer un rapport de force voire de domination avec celui qui regarde et qui pourrait acheter . Mahmoud Darwich disait d’elle : « elle n’a jamais écrit une mauvaise ligne. »
- Notre moi est constitué par la série des devenirs de la montagne, notre paix réside dans son obstination à être » est la phrase ultime du Voyage au mont Tamalpaïs (Manuella éditions, 2013).
Trois expositions de grande envergure ont été organisées entre 2015 et 2016, à la Haus Konstruktiv de Zurich, à la Serpentine Gallery de Londres, et enfin à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris . Juste et rien qu’une décennie pour que l’Occident découvre l’oeuvre de cette immense artiste; mais ce fut suffisant pour que le marché de l’art vorace s’en empare .
Mon regard tragique sur le monde passe par l’écrit. Ma joie de vivre, par la peinture », disait-elle.