Des fuites massives de données révèlent que le logiciel espion israélien Pegasus est utilisé contre des militants, des journalistes, des avocats, des médecins et des dirigeants politiques.
« Une grande enquête sur des fuites massives concernant 50 000 numéros de téléphone désignés comme cibles potentielles du logiciel espion de NSO Group révèle que ce logiciel a été utilisé pour favoriser des atteintes aux droits humains à grande échelle partout dans le monde », avertit, ce lundi 19 juillet, Amnesty International, dans un communiqué.
Elle précise que parmi les cibles figurent des dirigeants politiques, des militants et des journalistes, dont la famille du journaliste opposant saoudien Jamal Khashoggi, assassiné le 2 octobre 2018 au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie.
Le Security Lab d’Amnesty International a établi que Pegasus avait été installé « avec succès » sur le téléphone de la fiancée de Jamal Khashoggi, Hatice Cengiz, quatre jours seulement après l’assassinat du journaliste.
180 journalistes de 20 pays espionnés
L’enquête a identifié au moins 180 journalistes de 20 pays désignés comme cibles potentielles du logiciel espion de NSO entre 2016 et juin 2021, notamment en Azerbaïdjan, en Hongrie, en Inde et au Maroc, « des pays où la répression contre les médias indépendants s’est intensifiée ».
Au Mexique, le téléphone du journaliste anti-corruption Cecilio Pineda a été choisi comme cible des semaines avant son assassinat en mars 2017.
Selon l’enquête, 40 journalistes azerbaïdjanais figurent parmi les cibles potentielles visées par le logiciel espion. Le téléphone de Sevinc Vaqifqizi, journaliste freelance pour le média indépendant Meydan TV, avait été infecté pendant deux ans jusqu’en mai 2021.
En Inde, au moins 40 journalistes de presque tous les grands médias du pays ont été désignés comme cibles entre 2017 et 2021. Les téléphones de Siddharth Varadarajan et de M. K. Venu, cofondateurs du média en ligne indépendant The Wire, ont été infectés par Pegasus en juin 2021.
Au moins dix Etats ont acheté le logiciel israélien
L’enquête a également identifié parmi les cibles potentielles des journalistes travaillant pour Associated Press (AP), CNN, New York Times, RFI, France 24, AFP, Mediapart, Al Jazeera et Reuters.
Au rang des journalistes les plus connus figurait Roula Khalaf, rédactrice en chef du journal économique Financial Times.
Selon le quotidien français Le Monde, qui a participé à l’enquête, des journalistes opposants marocains comme Omar Radi ont été ciblés par Pegasus. Amnesty International a révélé l’affaire en 2020.
« Un service de sécurité marocain a utilisé Pegasus pour viser, de manière systématique, des journalistes critiques du pouvoir, et des dirigeants des grandes rédactions du pays. Le numéro de Taoufik Bouachrine, directeur du journal Akhbar Al-Yaoum, qui purge une peine de 15 ans de prison pour viol, au terme d’un procès dénoncé comme politique par ses soutiens, a ainsi été entré comme cible potentielle dans le logiciel de NSO, ainsi que celui de sa femme », écrit Le Monde.
D’autres journalistes marocains étaient espionnés par le logiciel israélien parmi lesquels Omar Brouksy, ancien correspondant de l’AFP et auteur de deux livres critiques sur le Roi Mohammed VI et sur les relations franco-marocaines.
D’après le journal Britannique The Guardian, les gouvernement des Emirats arabes unis, du Bahreïn, d’Arabie Saoudite, du Maroc, du Mexique, d’Inde, l’Azerbaïdjan, du Kazakhstan, de Hongrie et du Rwanda auraient acheté ce logociel à NSO Group. La vente se fait avec l’accord de Tel Aviv.
« Contrôler le discours public »
« Le nombre de journalistes identifiés comme cibles montre clairement que Pegasus est utilisé comme outil pour intimider les médias qui critiquent le pouvoir. Il s’agit pour les autorités de contrôler le discours public, de résister à toute surveillance et de réprimer les voix dissidentes », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« Le Projet Pegasus montre à quel point le logiciel espion de NSO Group est une arme de choix pour les gouvernements répressifs qui cherchent à réduire au silence les journalistes, à s’en prendre aux militants et à écraser l’opposition, mettant ainsi d’innombrables vies en péril », a-t-elle ajouté.
Treize chefs d’Etats ont été espionnés par Pegasus dont trois européens. Les noms seront révélés les prochains jours.
L’enquête appelée « Le projet Pegasus » a été menée par plus de 80 journalistes de 17 médias dans 10 pays et coordonnée par Forbidden Stories, une ONG basée à Paris travaillant dans le secteur des médias, avec le soutien technique d’Amnesty International.
Pegasus, le logiciel qui aspire tout le contenu d’un smartphone
Des analyses techniques de pointe ont été faites pour détecter des traces de Pegasus dans des téléphones portables.
Selon le quotidien Le Monde, Pegasus est capable d’aspirer tout le contenu d’un smartphone : messages, e-mails, photos, carnet d’adresses, vidéos, enregistrements sonores, historique de navigation… Les dernières versions, qui fonctionnent sur Android comme sur iPhone, peuvent être installées à distance sans action de l’utilisateur, « et sans que rien n’indique que le téléphone est piraté ».
Pegasus, qui est un logiciel invisible et indétectable, peut prendre des photos à distance, enregistrer des conversations, actionner le micro, lire les messages chiffrés et localiser une cible en déplacement (voiture, trains, etc).
NSO Group achète aux hackers « les failles de sécurité dans les logiciels », comme ceux de Google ou d’Apple, pour mieux « les exploiter » et y introduire des spywares.
En 2019, la messagerie WhatsApp a été infectée par Pegasus.
« Le secteur de la surveillance hors de contrôle »
Pour Amnesty International, les nouvelles révélations réduisent à néant toutes les affirmations de NSO Group selon lesquelles ces attaques sont rares et liées à une utilisation peu scrupuleuse de sa technologie. « Bien que l’entreprise affirme que son logiciel espion est utilisé exclusivement à des fins légitimes d’enquêtes pénales et terroristes, il est clair que sa technologie favorise des atteintes systématiques. L’entreprise affiche une image de légitimité, tout en profitant d’atteintes généralisées aux droits humains », accuse l’ONG de défense des droits humains.
Fondée en 2010 par Niv Carmi, Shalev Hulio et Omri Lavie, NSO Group a été rachetée en 2014 par la société Francisco Partners. Elle travaille avec un groupe de hackers, formés et activant pour l’armée israélienne.
NSO group développe actuellement le projet Eclipse, une plate-forme numérique contre les attaques par drones.
« NSO affirme que son logiciel espion est indétectable et utilisé uniquement à des fins légitimes d’enquêtes pénales. Nous avons maintenant apporté des preuves irréfutables que c’est absolument faux», a déclaré Etienne Maynier, expert des nouvelles technologies à Amnesty Tech.
Et d’ajouter : «Il faut mettre un terme aux atteintes généralisées aux droits humains que Pegasus favorise. Nous espérons que les preuves accablantes publiées la semaine prochaine amèneront les gouvernements à réformer le secteur de la surveillance, qui est actuellement hors de contrôle ».
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