Ils étaient venus. Ils étaient tous là ! Famille, amis et collègues de travail de Pierre Audin emporté par un cancer le 28 mai dernier. Un homme qui avait trois passions : une pour la France, une pour l’Algérie et une troisième pour les mathématiques.
C’est l’association Josette et Maurice Audin qui l’a annoncé par ce simple communiqué « C’est avec une immense tristesse que nous annonçons le décès de notre ami Pierre Audin » dont la vie « aura été consacrée au combat incessant, aux côtés de sa mère Josette, pour que soit dite toute la vérité sur les circonstances de la disparition de son père ».
Outre sa femme, sa sœur, beaux frères et autres membres de sa famille ont assisté aux obsèques Saïd Moussi, l’ambassadeur d’Algérie en France, l’ancien député Cédric Villani, un proche et ami de Pierre Audin et le sénateur communiste Pierre Laurent.
L’enterrement était prévu à 15 h. La foule était déjà au rendez-vous au cimetière bien que la cérémonie ne débutât qu’avec plus d’une heure trente de retard.
De nombreux et émouvants hommages lui ont été rendu ainsi qu’a son père Maurice et sa mère Josette par sa famille, ses amis et ses collègues de travail truffés d’anecdotes mettant en relief son humour, sa culture et sa générosité.
Il a été enterré ce 2 juin soit une année après sa dernière visite à Alger en mai 2022 où il a été reçu par le ministre de l’enseignement supérieur de l’époque et où il a été accueilli très chaleureusement par les algériens dans toutes les villes qu’il a visitées, et qui ne sont pas prêts d’oublier les engagements de ses parents Josette et Maurice pour l’indépendance de l’Algérie. Pour la première fois, il avait foulé le sol algérien avec son passeport vert dont il était très fier.
Dans une interview au journal l’Humanité, il déclara : « Après cent trente-deux ans de colonialisme avec un peuple bâillonné et contraint de courber l’échine, après sept ans d’une guerre sauvage, violente, l’Algérie aurait dû être la première sur les droits humains et les libertés » avant de poursuivre « Elle a aujourd’hui les moyens d’avancer vers une société solidaire, grâce à sa première richesse : la jeunesse. »
Pierre Audin n’a jamais cessé son combat de recherche de la vérité quant à la torture, la disparition et l’assassinat par les parachutistes français, en juin 1957, de son père, fervent militant de la cause de libération nationale, dont le corps n’a jamais été retrouvé à ce jour.
La thèse de l’évasion de Maurice Audin et sa disparition a depuis largement été démentie par de nombreux historiens français comme algériens en particulier par Pierre Vidal Naquet et Laurent Schwartz. Et c’est en s’appuyant sur les travaux de ces deux derniers que le palais de l’Elysée déclarait dans un communiqué datant du 13 septembre 2018 :
« Depuis soixante et un ans, la « disparition » de Maurice Audin, jeune mathématicien qui travaillait à l’université d’Alger et militait pour l’indépendance algérienne, reste une zone d’ombre de l’histoire de la guerre d’Algérie. Ceux qui, dans la lignée de Pierre Vidal-Naquet, ont enquêté sur l’affaire – historiens, journalistes, documentaristes, etc. – ont minutieusement recoupé les témoignages, les documents, les vraisemblances pour établir un faisceau d’indices concordants. Leurs travaux s’accordent tous à reconnaître que la mort de Maurice Audin a été rendue possible par un système légalement institué qui a favorisé les disparitions et permis la torture à des fins politiques.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, a par conséquent décidé qu’il était temps que la Nation accomplisse un travail de vérité sur ce sujet. Il reconnaît, au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile. Il reconnaît aussi que si sa mort est, en dernier ressort, le fait de quelques-uns, elle a néanmoins été rendue possible par un système légalement institué : le système « arrestation-détention », mis en place à la faveur des pouvoirs spéciaux qui avaient été confiés par voie légale aux forces armées à cette période ».
Une immense victoire dont se sont délectés Pierre Audin et sa mère décédée en février 2019 en voyant la une du Journal l’Humanité avec ce seul titre « Enfin ! » et cette précision « 61 ans, 3 mois et 2 jours… C’est le temps qu’il aura fallu à l’État français pour reconnaître que Maurice Audin a bien été torturé et assassiné par l’armée ».
Pierre Audin était mathématicien comme son père. Il a enseigné au Palais de la découverte de Paris qui lui a rendu hommage en tant que médiateur en mathématiques de 1994 à 2017 pour le Réseau Canopé en publiant les liens de 14 séances d’apprentissage pour les collégiens et lycéens.
Un autre hommage lui est rendu par une association française agrée par le ministère français de l’EN en ces termes « Co-fondateur de MATh.en.JEANS, nous lui devons en grande partie le projet MeJ. Avec Pierre Duchet, ils ont créé le premier atelier en 1989, ils en ont écrit les textes fondateurs et ils en ont fait diffuser l’idée . Depuis lors, il a eu un engagement constant, avec passion, rigueur et modestie, toujours présent. Dans les premières années, il a fait un travail considérable pour l’édition des travaux d’élèves. Des générations d’élèves et d’enseignants se rappellent sa présence fidèle à tous les congrès, son humour amical. Il se mettait rarement en avant mais ses interventions étaient très pertinentes. Il voulait permettre l’accès à la culture scientifique au plus grand nombre, but qu’il poursuivait aussi comme médiateur au Palais de la Découverte et au travers de projets en Algérie.
Dans un des hommages rendus lors des obsèques, un proche de Pierre signalait qu’« Il aimait s’appeler PAPI (PA pour Pierre Audin et Pi pour la lettre grecque Pi) » qui a fait sourire l’assistance.
Les Algériens ne l’oublieront pas, comme ils n’oublieront pas son père et sa mère. Qu’ils reposent en paix.