C’est un poème que j’ai écrit pour M’Hamed Issiakhem en septembre 1985, deux ou trois mois avant son départ, il y a trente ans, le 1er décembre 1985. Il l’a lu. Il a eu un sourire, un peu triste… A l’époque, il était très fatigué, mais il continuait à recevoir ses amis, trônant dans son lit installé dans le salon de sa maison à Baïnem, avec l’autorité d’un héros antique, lyrique et fraternel, incitant à la révolte, au combat, à la vie !
d’ivresses de feu et de velours
d’herbe lourde
comme rythmée
du sang mauvais de l’âcre paysage
D’ivresses de feu et de velours
au départ vers la mer
l’acide bleu minuscule de l’amour
jamais dit toujours le même trouble
du toujours même instant
gare
mutilation
je t’écoute dans la fumée bleue
je n’ai aucun repère
je crois savoir d’où vient cette blancheur
eau blanche dans un sillon de glaise
l’extrême lenteur
de l’extrême couleur du jour
je crois que je vois
la peinture de la farce
goûts sucrés
notes de mandoline
amies délicieuses
exécuteurs talentueux
troupes bigarrées
barrées d’un trait large
rouge s’asséchant
soldat mort mille fois
sous les arbres
sous l’œil vigilant de l’oiseau
du Turc de l’errant
je crois goûter au doute
à ses cercles fragiles
ondes de peur soudaine
on ne goûte pas à l’amertume
on en meurt
farce de beauté
pourtant glorieuse
comme la déchirure dans l’orgasme de l’agave
et des plaines de silence
je crois sentir la sève
la blancheur
la mort
couche dehors
dans un crépuscule d’odeurs glacées
dans l’enfance de ses ombres
pleines attentives
au cri
au signe
à l’oiseau
au métal dont on fait
le poème ou le couteau
je crois comprendre cette photo
de vous deux frères fiévreux proche parenté de matière qui brûle
exhalerâ
le possible clameur
projection d’un seul trait
d’un seul sens
dans le papier humide et lourd
de la mémoire qui importe peu
je ne sais pas qui sera le premier
à ouvrir l’écorce inconnue
le premier à se laisser prendre à l’odeur opaque des immenses vergers
où l’incolore domine
le premier qui touchera la terre molle de lumière et d’étoiles
qui sera un pleur au lieu de son corps
et du feu au lieu imprécis
de la flamme
du reflet
je ne sais pas si je t’écoute dans la fumée bleue
je ne sais pas où est l’art
où est l’instant
je ne sais pas où est la route
la pluie
le jardin provisoire
chiffre atroce
là
sur le mur
étrangers
buveurs de poisons subtils
marcheurs de la grande Fatigue
le paysage change
je crois voir demain
matin fluide
chute de colombes
noyades
dans l’odeur de l’argent
ombres vivantes aperçues
contre torsades de férocres murailles
passantes à l’âme extraite
drapées d’oripeaux
odorantes marchés lointains
fumeurs d’illusion
amants
vagues receleurs de sphères de lumière
très ancienne
acquise contre mille cécités
secrètes
sources
il y a cage dans l’œil des forçats coloriant l’avenir
l’advenu maquillant la mort
outrageant le mourant
il y a pays
surfaces aimées
qu’incruste la poussière
vides paroles
oraisons rectilignes
confusion de parfums funéraires
à cause du prix
mais peu importe
pays de silence
destin à jaunir
irrigations trop dures
forces de l’amour et de l’interdiction
mélanges de lumières
martyres
film doux des millénaires
il y a trop peu de temps
il y a toi
et d’autres signes incandescents
je ne sais pas qui tu es
toi que j’écoute
l’intangible
rieur du Rien
Moustachu
Alger, Septembre 1985