L’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr a connu une ascension phénoménale jusqu’à décrocher ce mercredi, 03 novembre, à 31 ans, le Goncourt pour son roman « La plus secrète mémoire des hommes », qui couronne les efforts d’un travailleur obstiné.
Il est le plus jeune lauréat depuis Patrick Grainville en 1976, et ce n’est que l’une des hautes marches qu’il a enjambées dans sa vie.
Né en 1990, fils d’un médecin de Diourbel, dans le centre du Sénégal, il se révèle excellent élève et avide lecteur.
Quand on lui demande s’il a ressenti une certaine pression de ses parents pour réussir en tant qu’aîné de six frères, il répond: « Non, pas nécessairement! J’ai envie de, simplement, donner le meilleur exemple qui soit à mes frères ».
Il intègre la filière d’élite des garçons de son pays, le prytanée militaire de Saint-Louis-du-Sénégal.
Beaucoup de métiers lui viennent en tête, médecin, footballeur, militaire, journaliste, avocat, professeur… Et à l’heure des études supérieures, ce surdoué choisit une autre filière d’élite, les classes préparatoires littéraires en France, dans un lycée de Compiègne près de Paris.
Elle l’amènera dans une des plus prestigieuses « grandes écoles » françaises, l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Ses recherches portaient sur la grande voix de la littérature africaine et chantre de la « négritude », Léopold Sedar Senghor.
« Je n’ai pas terminé ma thèse, parce que j’ai commencé à beaucoup écrire à ce moment-là, et que la fiction l’a emporté », confie-t-il. Il vit aujourd’hui à Beauvais, au nord de Paris.
Son entrée en littérature s’est faite dès ses 24 ans, avec « Terre ceinte », publié par une maison dont le catalogue l’avait formé, Présence africaine. Suit « Silence du coeur » en 2017.
Venir « d’une marge »
Philippe Rey, éditeur à l’expertise reconnue pour la littérature francophone, l’a convaincu de le rejoindre pour les troisième et quatrième, « De purs hommes » (2018) et « La plus secrète mémoire des hommes » (2021).
Sur ce livre qui explore de destin d’un écrivain sénégalais maudit inspiré du Malien Yambo Ouologuem (1940-2017), prix Renaudot en 1968, Philippe Rey, connu pour son exigence, s’est montré particulièrement attentif. D’après lui, Mohamed Mbougar Sarr, après avoir exploré si finement toute la littérature africaine, tenait le sujet qui allait le faire percer. Il n’y avait qu’à travailler, retravailler encore ce texte.
« J’ai eu beaucoup de chance, d’avoir été soutenu: ce n’est pas le cas de tous les écrivains africains. Ni de tous les écrivains tout court! Je suis bien conscient qu’être un écrivain africain publié en France peut être compliqué, comme pour tous ceux qui viennent d’une marge. Mais c’est en train de changer. Que la littérature africaine reste largement à connaître, c’est aussi une chance pour elle », estimait l’écrivain, interrogé en septembre par l’AFP.
Présenté aux jurys des prix d’automne, le roman a vite convaincu par la qualité de son style et le mystère de ses personnages.
D’un naturel modeste et d’une élocution très douce, le jeune Sénégalais a été surpris de ce succès. Quand son éditeur lui avait lancé durant l’été le pari de courir un marathon s’il était dans la première sélection de trois prix différents, il avait accepté sans plus y réfléchir.
Philippe Rey en a couru un depuis, Mohamed Mbougar Sarr pas encore. Mais il a une bonne excuse: il a écumé presque tous les festivals littéraires possibles en France ces derniers mois.