Imene Ayadi a présenté en avant-première mondiale son deuxième court métrage « Nya » aux 18ème Rencontres cinématographiques de Béjaia (RCB) qui se sont déroulées du 23 au 28 septembre 2023. C’est l’histoire d’Anya (Melissa Benyahia), 7 ans, qui vit dans la banlieue d’Alger et célèbre la fête du Mouloud en l’absence de son père durant les années 1990 en Algérie. Anya n’a aucune conscience de ce qui l’entoure comme violence dans le pays. Ce court métrage est une coproduction algéro-française avec le soutien du Doha Film Institute (Qatar).
24H Algérie: « Nya » revient sur une période sombre de l’Histoire de l’Algérie . Comment avez-vous écrit cette histoire? Est-ce à partir de souvenirs d’enfance ?
Imene Ayadi: Je voulais raconter les années 1990 en Algérie mais d’une manière un peu originale à travers le regard d’un enfant. Il est vrai que beaucoup de films ont abordé cette décennie mais il reste énormément de choses encore à raconter au cinéma sur cette période. Il était important pour moi de puiser dans ce que j’avais vécu pour écrire le scénario. Je voulais montrer que les conséquences d’un drame ou d’une guerre civile ne sont pas uniquement celles apparentes. Il existe des conséquences invisibles et de traumatismes qu’on peut garder toute la vie. Dans les années 1990, j’étais encore enfant. Aujourd’hui, si le téléphone sonne après 23h, je commence à trembler, à avoir peur.
Vous avez donc gardé des traces…
Oui. A cette époque, mon père (le réalisateur Ali Fateh Ayadi) travaillait beaucoup. Après le couvre-feu (instauré en décembre 1992), il n’était pas à la maison. J’ai vaguement compris que le couvre feu était quelque chose de dangereux. Autant que l’absence de mon père durant cette période nocturne. Donc, je voulais aborder la présence de ces traumatismes.
Dans le film, le père est un journaliste. Votre père est réalisateur…
Oui, pour le besoin de ses tournages, il devait travailler tard, voyager à l’étranger et à l’intérieur du pays. A l’époque, les réalisateurs étaient menacés autant que les journalistes et les musiciens. J’ai tourné le film, là où j’ai habité avec ma famille dans une zone de sécurité à Azur Plage (côte ouest d’Alger) durant les années 1990.
Votre histoire se déroule en mars 1994. Ce choix de la date est-il voulu ?
Pour moi, c’était le début du printemps. Ce n’est que plus tard que j’ai compris la signification avec la date du 22 mars (grande marche contre le terrorisme à Alger en 1994).
Les films algériens réalisés sur les violences des années 1990 ne sont pas nombreux. Est-il difficile de raconter ou de revenir sur une tragédie qui n’est pas lointaine ou s’agit-il d’un blocage ?
Nous en sommes encore à raconter des histoires sur l’indépendance et la guerre de libération. On n’a pas encore abordé les années du terrorisme. Mais, il faut, à mon avis, aborder la période des années 1990 dans le cinéma algérien. Il est important d’en avoir les moyens. On doit pouvoir traiter de tous les sujets au cinéma et qu’on ne vienne pas nous dire que telle ou telle thématique a été déjà abordée. Il y a une infinité d’histoires à raconter…
La décennie noire vous intéresse-t-elle pour un long métrage ?
Je pense honnêtement que j’ai fait ma part et abordé un sujet qui m’intéressait. Pour mon premier long métrage, je préfère rester sur la période actuelle, des sujets de société.
Comment avez-vous pu diriger votre jeune comédienne? La direction des enfants dans le cinéma est souvent compliquée…
Pour les enfants, il faut juste passer par le jeu. La petite Melissa Benyahia est restée chez moi pendant trois semaines. Je passais tous les jours à jouer avec elle. J’ai établi avec elle un lien de confiance. Après, tout est devenu facile. Il faut toujours trouver des moyens détournés avec les enfants pour pouvoir les diriger au plateau.
Finalement, c’est Anya qui narre l’histoire dans le film
Ce choix est fait par rapport au métier du père. En son absence, elle veut faire comme lui. Elle joue donc à la journaliste. Dans sa narration, elle passe de sujets légers à des sujets graves.
Pourquoi avez-vous choisi de présenter votre court métrage en avant-première mondiale aux Rencontres cinématographiques de Béjaia (RCB) et pas ailleurs ?
Mon premier court métrage, « Le vieux kalbelouz » a été projeté pour la première fois aux RCB. C’était la première projection de mon film dans une salle de ma vie. C’est donc grâce aux RCB que ce court métrage fut sélectionné après dans une cinquantaine de festivals à travers le monde. J’ai voyagé pendant deux ans. Donc, le début de cette aventure incroyable a été à Béjaia. Il me semblait normal de lui offrir l’avant première mondiale de mon deuxième court métrage. Une manière de rendre hommage aux RCB. La petite Melissa Benyahia n’a pas de passeport, n’a jamais voyagé et n’est jamais entrée dans une salle de cinéma. Je l’ai invitée à assister à la projection du film. Le fait qu’elle se voit sur grand écran à Béjaïa, dans son pays, est un choix du cœur.
Votre premier court métrage « Le vieux kalbelouz », sorti en 2019, dépeint la déception d’un homme qui semble avoir perdu espoir. Pourquoi ce sujet ?
Je voulais rendre hommage à toutes les personnes d’un certain âge et qui ont vécu l’Algérie de l’après indépendance, qui ont essayé de construire tant bien que mal l’Algérie et qui ne sont pas allés à l’étranger, retenus pour l’espoir pour le pays. Finalement, ils auraient pu être déçus par l’Algérie contemporaine. Un pays qui n’est pas à la hauteur de leurs ambitions. Le personnage (joué par Ahmed Benaïssa) est un Algérois déçu après avoir participé à la guerre de libération nationale. Il s’attendait à mieux. Mais, après tout, et en dépit de tout, l’amour de la patrie reste intacte. Un amour partagé par toutes les générations.