A mon épicier attitré, originaire d’Azazga, j’ai osé un jour poser la question de savoir pourquoi je devais le qualifier d’a3’azzoug, c’est à dire de sourd, alors qu’il sursautait au moindre tintement d’une pièce de monnaie.
Akli a3azzoug a daigné m’éclairer sur la question. Je vous livre à l’état brut ce qu’il m’a raconté. J’invite les Historiens à confirmer ou infirmer la thèse haute en couleurs de mon pourvoyeur en denrées alimentaires de base, en potins divers et, quelques fois, en pensées concentrées à haute teneur philosophique.
Remontons donc avec Akli jusqu’en Dix-huit cent cinquante-sept.
La bataille d’Icherridène fait rage. La Kabylie donne partout à sentir l’odeur de la poudre et du sang. Les généraux français en ont marre de courir après des capuchons de burnous qui s’escamotent derrière des figuiers de barbarie pour réapparaître aussitôt après derrière un frêne ou un olivier.
Ils en ont marre aussi de se battre contre cette femme qui les fait baver: Lalla Fadhma N’soumer.
Ils pensent donc qu’il est peut-être utile de lui transmettre un message dont, personnellement, j’ignore la teneur.
Toujours est-il qu’une estafette française se présente aux abords d’un village qui n’avait pas encore de nom et fait savoir aux habitants que, les choses étant ce qu’elles étaient, les siens voulaient prendre langue avec ceux d’en face.
Futés, comme toujours, ses interlocuteurs kabyles lui répondirent qu’ils étaient désolés de ne pouvoir être utiles et pour cause !
-Nous sommes sourds, dirent-ils, nous n’entendons pas !
Jusqu’au jour d’aujourd’hui, c’est à peu près, me semble-t-il, la même réponse futée que les Algériens continuent de donner inlassablement à leurs dirigeants qui veulent leur faire prendre des vessies pour des lanternes.
-Noukni naa’zeg !! ou n’sellara !! Nous sommes sourds comme des pots !!