Le « retour diplomatique de l’Algérie » est annoncé par de nombreux titres de la presse nationale. Même des journaux électroniques, férocement critiques vis-à-vis de la politique intérieure, se joignent à ce concert.
A travers les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui y croient ou l’espèrent. La diplomatie algérienne, c’est comme une équipe nationale. On oublie ses problèmes internes pour sublimer l’image collective. La fierté nationale y trouve son compte.
Le pouvoir, en difficulté sur le plan interne, place ses espoirs dans ce « retour diplomatique ». C’est de bonne guerre. Si on se livre à une comparaison avec l’équipe nationale de football, on pourrait déjà constater que la diplomatie algérienne n’a pas son Belmadi. A-t-elle ses joueurs professionnels ? c’est moins sûr.
Si on se réfère aux éloges dressés par la presse à certains diplomates, les critères sont éloignés de la performance. À les entendre, une langue de vipère ferait un bon diplomate. Pour continuer la comparaison, notre équipe nationale et notre diplomatie partagent un handicap : la qualité médiocre des terrains. Si le professionnalisme des joueurs de foot compense le mauvais gazon, la diplomatie ne peut s’abstraire de la politique intérieure. Mais si on parle de retour, c’est que l’Algérie a depuis longtemps rompu avec ce que l’on conviendrait d’appeler l’âge d’or de la diplomatie algérienne.
L’ÂGE D’OR DE LA DIPLOMATIE ALGERIENNE
Les moins jeunes ne l’ont pas vécu. Mais la télévision algérienne et la presse nationale nostalgiques ont suffisamment rappelé cette période. La tenue du sommet des non-alignés à Alger en septembre 1973, l’intervention du défunt Président Boumediene à l’Assemblée Générale des Nations-Unies en avril 1974 resteront des moments de grande fierté nationale.
La même assemblée générale présidée par le Ministre algérien des Affaires étrangères, procède à l’exclusion de l’Afrique du Sud pour sa politique d’apartheid. La participation présidentielle aux sommets africains et islamiques est au nombre des prestigieuses manifestations de la diplomatie algérienne. Le prestige de l’Algérie est à son sommet. Cette période faste va aller décroissante jusqu’aux années 80.
Le début de la décennie 90 sonne le glas de la diplomatie algérienne. Au point de se faire concurrencer par la délégation extérieure dite parlementaire du FIS. Depuis, la remontée est laborieuse. Mais la diplomatie algérienne ne convainc pas. Quelques restes beaucoup plus liés au partage des frontières. Le rôle de l’Algérie n’est pas déterminant. Les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU sont présents et prépondérants.
Une question vient à l’esprit : Qu’est-ce qui a fait que notre pays dont les limites territoriales n’ont pas bougé, dont la population connait un taux d’accroissement naturel envié par les pays développés et dont les capacités militaires sont renforcées n’arrive pas à émerger de nouveau sur le plan international ?
LES FONDEMENTS INTERNES DE LA DIPLOMATIE
Incontestablement, la guerre de libération nationale imprime un élan à l’action extérieure de l’Algérie. Cet élan gagne en dynamisme dans le contexte de la décolonisation. De nombreux mouvements africains de libération trouve une terre d’accueil et un soutien logistique à Alger. L’Algérie devient un pôle dans les relations internationales. D’où son influence au sein du mouvement des non-alignés.
Sur le plan strictement interne, l’Algérie s’est engagée dans la voie socialiste. Les nationalisations des industries étrangères sont spectaculaires. Les revenus pétroliers et gaziers lui permettent de lancer de grands projets industriels. La conception de « l’industrie industrialisante » est à son stade expérimental. Les réalisations industrielles, du moins les démarrages des projets, sont une réalité. L’agriculture fait l’objet d’une « révolution agraire » dont les ambitions sociales suscitent l’intérêt des pays du Tiers-monde. Une politique de scolarisation massive est observée avec intérêt. Même la culture trouve en partie son compte avec l’aide financière et les libertés relatives dont bénéficient les hommes du cinéma et du théâtre. Le festival panafricain de 1969 donne l’image d’une Algérie ouverte et solidaire.
Le mode de vie des élites algériennes ne subit pas encore fortement les contrecoups de l’arabisation et de l’islamisation. Au niveau international, il est fait état de l’exemple algérien. C’est une source d’inspiration pour les pays qui se sont affranchis récemment du colonialisme ou qui sont sur le point d’accéder à l’indépendance. Voilà le terrain interne sur lequel reposaient la diplomatie algérienne et son âge d’or.
LES CONDITIONS DURABLES DE LA BAISSE DE L’INFLUENCE EXTERIEURE
C’est donc une Algérie à l’état de chantier fait de projets prometteurs qui produit une diplomatie conquérante. Dans un contexte de guerre froide qui permet de se mouvoir entre les protagonistes. Coopération économique dominante avec les pays occidentaux.
Coopération politique et militaire privilégiée avec les pays socialistes. L’effondrement des pays socialistes et, bien avant, l’échec de l’expérience socialiste interne vont donc aboutir à l’affaiblissement de la diplomatie algérienne. L’appareil diplomatique subit directement une dilution de ses compétences avec le clientélisme qui affecte la distribution et les promotions du personnel.
Les ferments de la crise étaient déjà présents dans la période d’essor. Aux résultats économiques déplorables s’ajoutaient les violations des libertés individuelles et collectives. Les grosses concessions faites aux partisans de l’arabisation radicale et de la « réislamisation » de la société conduisent à une détérioration du cadre de vie général des Algériens. Depuis le début des années 80, les réformes économiques, la mise en place de l’économie de marché, et les réformes politiques, le multipartisme et la démocratie, tardent à s’imposer. Au cours de la dernière période, les tendances autoritaires et répressives se sont renforcées.
Sur le plan économique, malgré des velléités, rien de fondamental n’est encore fait pour libérer les investissements. Le socialisme défait continue son œuvre à travers l’hyper-étatisme qui gouverne tous les domaines de l’activité nationale. L’asséchement progressif de la rente pétrolière diminue la marge de manœuvre du pouvoir en place. La diplomatie algérienne ne peut se prévaloir d’aucun ressort interne pour rebondir à l’extérieur. Bien au contraire, elle devra se faire l’avocat, auprès du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les droits de l’homme, des violations répétées et scandaleuses des libertés individuelles et collectives. C’est un lourd fardeau qui plombera durablement son redéploiement.
Allons plus loin , encore, dans le temps de la représentation diplomatique algérienne dans le concert international.. Pour les Algériens, Bandung est un repère essentiel – un marqueur historique indiscutable – dans la reconnaissance internationale de la Révolution Algérienne et donc dans le processus, encore inachevé aujourd’hui, de reconquête de leur dignité citoyenne.
Permettez-moi à l’occasion de cette rencontre de rendre un hommage tout particulier à Hocine Ait Ahmed qui dirigeait la délégation algérienne à la Conférence de Bandung en sa qualité de responsable des relations extérieures du Front de Libération Nationale. Dès avant la réunion, Hocine Ait-Ahmed avait saisi le caractère stratégique de cette rencontre à la fois pour la Révolution Algérienne et pour le devenir du pays : « le Front de Libération Nationale rencontrait les peuples du Sud, constituait sa première alliance mondiale et sortait d’un tête-à-tête bien trop déséquilibré avec l’Etat colonialiste ». Le monde a évidemment beaucoup changé depuis 1955, le souffle émancipateur des peuples du Sud semble être retombé, le soleil des indépendances a réduit en cendres bien des illusions.