Après un long combat juridique contre Alain Rey, qu’il a accusé de plagiat, l’écrivain algérien Salah Guemriche a su transformer cette épreuve en moteur créatif. Dans cet entretien, il revient sur les épreuves marquantes de cette bataille, l’impact sur sa santé et son parcours, ainsi que sur sa renaissance à travers le roman, un genre où il explore une liberté narrative totale.
24H Algérie : Le public algérien vous connaît pour la bataille que vous avez livrée contre Le Robert. Pouvez-vous nous raconter ces cinq années de combat avant d’obtenir gain de cause ?
L’évocation de cette affaire fait remonter en moi des souvenirs douloureux. Tout a commencé par une sortie anodine de mon épouse à la FNAC. À son retour, elle m’a dit : « Rey a publié un livre sur le même sujet que toi. » Mon dictionnaire, publié en 2007 chez Le Seuil, était déjà disponible. Curieux, je suis allé à la FNAC et ai commencé à feuilleter le bel ouvrage de Rey, qui arborait de magnifiques calligraphies arabes. C’est là que j’ai découvert, stupéfait, de larges passages de mon propre ouvrage. Je me suis assis par terre, abasourdi, en reconnaissant mon manuscrit, presque intégralement repris. Des passages entiers, des exemples que j’avais tirés de mes souvenirs et de ma propre vie, réapparaissaient dans ce livre sous prétexte d’illustrer la « tradition arabe », alors que cela n’avait rien à voir. J’ai passé une semaine entière à relever les similitudes, à souligner les copiés-collés évidents, les reprises mot pour mot. C’était un travail accablant, et j’ai fini par subir un accident cérébral, conséquence directe de ce choc.
Et c’est comme ça que vous avez décidé d’entamer une action en justice ?
Salah Guemriche: Oui.. Je n’avais pas le choix. J’avais écrit à Rey pour dénoncer le pillage de mon dictionnaire. Il m’avait répondu en une lettre manuscrite de 4 pages où il ne reconnaissait pas directement le plagiat mais tergiversai sur le sujet.
Le plus difficile pour moi a été de trouver un avocat prêt à me défendre. Ce fut un miracle de rencontrer Emmanuel Pierrat, célèbre avocat spécialiste du droit d’auteur et des affaires de plagiat. Ce fut un combat de David contre Goliath. Le pot de terre contre le port de fer. Ce que je retiens avant tout de cette épreuve, c’est d’avoir tenu bon durant cinq longues années. Mais, surtout, je suis fier du résultat : j’ai gagné mon procès contre Alain Rey. C’est ainsi que j’ai pu dire que la justice existe en France, et que j’en ai fait l’expérience : moi, l’émigré « sans voix », j’ai pu l’emporter contre une figure emblématique des dictionnaires Le Robert. Cependant, ce qui m’a également frappé, c’est le silence des médias français. Ils ont complètement ignoré l’affaire. Si cela avait été moi qui avais commis un simple larcin, comme « voler un pain au chocolat » pour citer une expression bien connue, cela aurait fait la une de tous les médias. Mais qu’Alain Rey ait pillé le travail d’un émigré n’a fait réagir personne. Ils ont étouffé l’affaire.
Et cette affaire a eu des répercussions sur votre santé ?
Elle m’a valu un accident vasculaire. Je dois mon salut à une émission que j’ai suivis un mois auparavant sur un radio française et où on parlait de l’AVC. Aussi, la décharge que j’ai senti dans le cerveau, m’a vite alerté. Le SAMU est vite arrivé et les médecins de l’Hôpital d’Angers ont pu me sauver. Après mon neurologue m’a interdit d’aller en salle d’audience c’était le regretté journaliste, Amer Ouali, qui partait au tribunal et qui m’informait. C’est par lui donc que j’ai appris que j’avais gagné mon procès. Nous avions attendu qu’il fasse appel de ce jugement mais il ne l’a pas fait. J’avais définitivement gagné mon procès et je pouvais enfin passer à une autre étape de ma vie.
Et depuis, Guemriche s’est tourné vers le roman ?
Effectivement, j’ai publié trois romans, dont L’Homme de la première phrase, un roman noir sorti chez Rivages Noir, une maison d’édition réputée dans ce genre littéraire. Pourquoi le roman ? Parce que l’essai n’offre pas la même liberté. La fiction permet une liberté immense. J’ai besoin de cette liberté, alors que dans l’essai, la rigueur et la précision sont des impératifs. Écrire un roman, c’est respirer. Néanmoins, avec mon dernier ouvrage, Molière m’a tuer, sous-titré L’Homme des accords déviants, j’ai tenté un défi ambitieux. Mon personnage se lance dans une croisade contre les fautes de français. Dans ce roman, j’ai délaissé la structure linéaire habituelle. Si vous prenez Nedjma de Kateb Yacine, aucun éditeur aujourd’hui ne prendrait un tel ouvrage en raison de sa structure.
Avec Molière m’a tuer, j’ai voulu expérimenter un roman multiple, qui s’éparpille, comme une série fictionnelle. Il se compose de nouvelles reliées par un même personnage et une conclusion commune. J’aurais aimé que les lecteurs puissent le découvrir au Salon du livre. Malheureusement, mon éditeur, Frantz Fanon, n’est pas présent cette année.