«Sauver l’école» est le titre de l’appel lancé par six universitaires et publié dans «le quotidien d’Oran» du 17 juillet 2021. On ne peut que se féliciter de l’expression d’une opinion dans la rubrique «débat» du journal. Les échanges de points de vue se font malheureusement rares. L’école est reléguée au second plan dans le contexte des manifestations du Hirak.
La politique de la « douche écossaise », emprisonnements et libérations des acteurs de la société civile, focalise l’attention des observateurs de la vie politique. Elle contribue également à marginaliser des thèmes importants comme l’école. Mais il convient de reconnaître un fait indubitable, l’école divise la société civile. Elle est abordée comme une question idéologique.
SAUVER L’ECOLE DU NAUFRAGE
Les auteurs assimilent leur texte, à « une bouteille à la mer jetée ». C’est le grand risque pris par ces auteurs. Comme une bouteille jetée à la mer, la probabilité que ce texte rencontre les échos souhaités est faible. Il satisfait certes à un constat largement partagé, l’école algérienne est en grande partie en inadéquation avec le monde d’aujourd’hui. Cette école publique, sous tutelle de l’État, traine le lourd boulet de l’idéologisation religieuse et de la dogmatisation de la langue arabe.
Malgré des exploits individuels, fruits de l’apport des parents et des cours parallèles, les performances de l’école algérienne sont faibles. Passé ce constat, les auteurs nous maintiennent, eux aussi, sur le terrain idéologique. De trop longues pérégrinations dans l’histoire et la religion épuisent le lecteur. Les efforts pour concilier rationalité et religion sont méritoires. Tous les partisans de l’école moderne s’y sont attelés depuis l’Indépendance.
Le résultat est connu. Les convaincus le sont déjà. Les autres ne semblent pas se rallier à cette thèse. Un dialogue de sourds semble s’être installé. Le débat idéologique parait sans lendemain. Les auteurs se sont embourbés dans les considérations historiques et religieuses. Leurs connaissances ne sont pas en cause. Mais elles n’éclairent pas vraiment la question de l’école. Cette question ne se rapporte pas à la vérité historique. Ce sont des croyances, des connaissances non démontrées, qui s’affrontent.
L’issue parait plus qu’hasardeuse. Les auteurs affirment que « le libre arbitre est le seul crédo philosophique qui convienne au monde complexe dans lequel nous vivons ». C’est vrai, mais loin d’être gagné pour le contenu de l’enseignement. Cependant, le libre arbitre, c’est le libre choix. Mais de qui ? De la personne humaine, du citoyen. Justement l’école doit relever du libre choix des parents. Mais la démarche étatiste des auteurs ne laisse pas présager d’une telle liberté.
LA RESPONSABILITE DES PARENTS OU DE L’ETAT?
Une question essentielle se pose : Qui est responsable de la formation des enfants ? L’État ou les parents ? La réponse donnée depuis 1962 est étatiste. Le choix du socialisme puis son assouplissement depuis les années 80 partagent la même réponse : à travers l’éducation nationale, l’État est seul responsable de la formation scolaire des enfants.
Cet État imprime à l’éducation nationale le contenu idéologique partagé par ses dirigeants. Il combine quelques éléments scientifiques avec des enseignements religieux ou fortement influencés par des préjugés religieux. Si l’on suit la logique des auteurs du texte, il appartient à l’État de s’aligner sur les orientations qu’ils préconisent, une école fondée sur la rationalité.
Quelle est la nature de l’État qui correspondrait au choix d’une école moderne ? Un État progressiste, un État qui aura fait des choix idéologiques contraires à l’obscurantisme religieux, un État ouvert sur les valeurs universelles. Cet État usera inévitablement de la contrainte dans la mesure où son monopole sur l’éducation nationale impose des choix aux pans entiers de la société civile qui n’épousent pas ces orientations. Cela peut mener inexorablement vers la « guerre scolaire », l’affrontement des modes de vie et des valeurs culturelles. Vers la menace sur la paix civile. Les échecs de Mostefa Lacheraf en 1978 et Nouria Benghebrit en 2019 sont là pour rappeler que toute démarche étatiste se heurte à la nature de l’État et aux opinions largement présentes dans la société civile. C’est ce qu’ont compris de nombreux parents.
LA RESPONSABILITE DES PARENTS ET LA LIBERTE DE CONSCIENCE
Des parents d’élèves, soucieux au plus haut point de l’avenir de leurs enfants, ont su montrer la voie. Selon leurs ressources financières et leur « puissance administrative », ils ont choisi respectivement les études à l’étranger, le lycée français ou les écoles algériennes privées. Ils ont exercé leur responsabilité de parents. Ils ont soustrait leurs enfants à l’éducation nationale au contenu scolaire inadapté à leur avenir universitaire et professionnel. Ils ont agi selon leur conscience.
Malheureusement, trop nombreux sont les parents qui n’ont pas cette capacité. Faut-il pour autant condamner tous les enfants à subir les péripéties d’une école en décalage par rapport au monde moderne ? Le nivellement par le bas. Non, la question est au contraire d’élargir les possibilités d’accès aux écoles que les parents choisiront librement en toute conscience. Pour cela, il faut lever les restrictions administratives à l’ouverture des écoles privées, libérer les programmes scolaires. Les examens officiels serviront de cadre de référence. Les performances, les résultats aux examens renseigneront les parents sur la qualité des enseignements des écoles en concurrence.
La multiplication des écoles privées réduira les prix des inscriptions et des enseignements. Ce serait une mesure de justice sociale que d’octroyer des bourses d’études à ceux qui ne font pas le choix de l’école publique. L’éducation nationale verrait ses besoins en investissements réduits. Dans tous les cas, l’argent des contribuables doit servir à tous les contribuables sans discrimination. Tout ce dispositif repose sur une idée simple : les parents sont responsables de l’éducation de leurs enfants. Ils font leurs choix en toute liberté, en toute conscience. C’est le contenu concret que doit prendre le libre arbitre qui passera de l’affirmation philosophique à l’exercice réelle d’une liberté.
L’EDUCATION NATIONALE EST-ELLE REFORMABLE ?
Les tentatives de réforme de l’éducation nationale ont toutes échoué. Il est donc normal que le pessimisme domine chez les citoyens. Réformer l’éducation nationale, c’est réformer l’État. Un vaste programme. Les années 2019-2021 qui ont vu la société civile affronter l’État autoritaire donnent la mesure de la complexité et de la difficulté d’une telle entreprise. L’échec des tentatives de réformes sous les mandats des Présidents Boumediene et Bouteflika montre que malgré des velléités certaines, ce sont les équilibres politiques jugés nécessaires pour le maintien au pouvoir qui sont déterminants.
C’est le lien de l’éducation nationale avec la politique qui est en cause. Dans le contexte d’une hégémonie de l’État sur tous les secteurs économiques, sociaux et administratifs, l’éducation nationale ne reçoit pas la pression suffisante du marché du travail. C’est l’État qui recrute. Il recrute des fonctionnaires. Une pléthore. Il recrute dans les entreprises économiques et de service. Il recrute dans la culture et le sport. Il est le grand employeur. Sous couvert de la recherche d’une politique de plein emploi, il recrute sans grandes exigences de compétence.
L’éducation nationale et l’université ne sont pas tenues de former des cadres aux qualifications requises par l’évolution technologique. Ces dernières années, les capacités de l’État se sont réduites. Le chômage des jeunes sortis du lycée et de l’université est devenu une réalité malgré les sureffectifs imposés aux entreprises déjà déficitaires. L’étatisme est doublement responsable de cet état de fait. Il exerce un monopole sur l’éducation nationale. Ce monopole n’incite pas à la recherche de performances dans l’enseignement. Il pousse à la médiocrité.
Il met l’éducation nationale en otage des équilibres politiques au sein du pouvoir. En second lieu, par les restrictions drastiques imposées aux investissements privés nationaux et étrangers, l’État prive l’éducation nationale de l’incitation du marché de libre concurrence. Ce sont en effet les demandes des usines, des services, des instituts, des centres de santé soumis à la libre concurrence qui formulent des exigences en formation.
Les défaillances en qualification sont synonymes de perte de marché, de perte de résultats. L’existence d’écoles et de centres de formation privés plus performants constituent un stimulant pour l’éducation nationale qui doit être également soumise à la nécessité des résultats. L’éducation nationale va suivre le rythme d’évolution de l’État. Il est donc primordial que le système scolaire soit ouvert à l’initiative privée. Il y va de l’intérêt des enfants qui seront plus nombreux à y accéder. Il y va de l’intérêt d’une économie en attente d’une pleine croissance.