Farid Bourennani, expert en ingénierie financière, estime qu’aujourd’hui, l’Algérie a peu de chance de décrocher des prêts dans de bonnes conditions auprès des institutions financières internationales. Dans cet entretien à 24H Algérie, il explique les raisons de l’inéligibilité de l’Algérie pour ce type d’endettement et comment sortir de la crise actuelle.
24H Algérie: Le nouveau ministre des Finances Aymane Benabderrahmane a déclaré, ce lundi 29 juin, que l’Algérie n’ira pas vers l’endettement extérieur pour régler ses difficultés budgétaires actuelles. Pensez-vous que le pays peut éviter cet endettement ?
Farid Bourennani: Dans les conditions où nous sommes, c’est l’endettement extérieur qui ne voudra pas de nous ! Pour une raison simple : il faut avoir un rating pays. Nous n’avons pas cette notation pays. Nous allons devoir la faire mais dans des conditions les plus mauvaises. Au début des années 2000, nous aurions pu établir cette notation dans des conditions meilleures. Tous les pays voisins comme la Tunisie ou l’Egypte ont un rating, sauf l’Algérie qui, pour des raisons dogmatiques, ne l’a jamais fait. Donc, nous n’avons pas ce premier préalable pour pouvoir lever de la dette sur les marchés internationaux. Même si nous le voulons, nous ne pourrions pas.
Justement, comment pouvoir établir un rating, en dépit de ce retard?
Pour simplifier, le rating signifie qu’on vous demande votre âge, votre poids, le nombre des membres de votre famille…Il faut réunir plusieurs critères avant d’avoir une note. Il y a des organismes qui établissent les notations comme Standard and Poors, Fitch, etc. Pour l’Algérie, la note ne sera pas forcément bonne. Quand ils disent qu’on ne va pas aller vers l’endettement extérieur, ils ont assimilé le fait que l’emprunt n’est pas accessible pour nous à l’heure actuelle.
Ou peut être accessible à des conditions défavorables
Même pas. Avant d’être dans des conditions défavorables, il faut être éligible. Il faut pouvoir s’adresser aux marchés pour savoir si les conditions sont bonnes ou pas. Or, nous n’avons pas les conditions requises. Les investisseurs internationaux fonctionnent par des notations. Chaque pays a une notation, laquelle n’est pas immuable. Les pays essaient à chaque fois d’améliorer cette notation. Cela touche à la gouvernance, à la transparence, aux réformes…Cet effort là, l’Algérie n’a jamais pu le faire, sans doute qu’elle trouvait qu’il y avait beaucoup d’ingérence dans la cuisine interne. Si nous n’avons pas fait le rating, c’était forcément pour des raisons politiques. Nous nous sommes toujours contentés de dire que nous sommes solvables avec des recettes de pétrole qui suffisent. Et puis, on disait : « si vous n’êtes pas contents, on paye cash et on rembourse la dette » !
Quelles sont alors les solutions face à cette difficulté d’accès aux crédits internationaux ?
Il y a différentes natures de crédits internationaux. Là, on parle des investisseurs qui ne vous connaissent pas et qui demandent votre notation avant de décider de vous emprunter ou pas. Ensuite, il y a la dette bilatérale. Par exemple, la Chine est capable de prêter à l’Algérie pour des raisons économiques, politiques et stratégiques. La Chine vous dira, je vous prête 3 milliards de dollars pour le projet d’un port à El Hamdania (Cherchell) à condition que je le réalise et le gère. Dans le passé, la France prêtait de l’argent à l’Algérie mais demandait à ce que les grands projets soient confiés aux entreprises françaises. Ces crédits dépendent de la qualité politique des relations bilatérales. L’Allemagne a agi de la manière pour l’achat d’équipements. Mais, pour faire ce que vous voulez des crédits que vous obtenez, il faut recourir aux eurobonds. Il s’agit d’obligations en dollars ou en euros. Donc, les banques trouvent des investisseurs en fonction de la qualité du risque, c’est la cotation, et de la rémunération qu’offre le pays. Il y a aussi les fonds de développement.
Par exemple?
La Banque africaine de développement (BAD) dont l’Algérie est membre. Elle peut prêter au pays 1 milliards de dollars, par exemple. Dans le cas de l’Algérie, un milliard de dollars, c’est une goutte d’eau. Mais, pour débloquer cette somme, il faut remplir certains critères. Il y a aussi la Banque islamique de développement(BID) qui prête à ses membres. Et, il y a le Fonds arabe de développement économique et social (FADES). Je pense que la nomination récente d’Abdelaziz Khelaf comme conseiller économique et financier du président de la République Abdelmadjid Tebboune obéit à une stratégie. L’Algérie ne veut officiellement pas d’endettement extérieur, mais explore la voie des bonnes relations avec le FADES, la BAD et la BID. Abdelaziz Khelaf (qui a dirigé la Banque arabe pour le développement économique en Afrique, BADEA) est celui qui connaît le mieux ces organisations. Il va contribuer à rapprocher l’Algérie de ces fonds et l’aider à lever de la dette.
Le recours au financement non conventionnel a été beaucoup critiqué par les experts ces derniers mois. Faut-il continuer sur cette voie?
C’est suicidaire. J’attends de voir dans quinze jours qu’elles sont les sources de financement de l’impôt. La pression fiscale interne a ses limites. Il y a des sociétés qui sont mal en point et un Etat qui veut engranger des ressources pour pouvoir supporter son budget de fonctionnement et d’équipement. En début d’année, on a annoncé une réduction de 30 % du budget de fonctionnement de l’Etat. Avec la chute des prix du pétrole, cette réduction est passée à 50 %. Au parlement, Abderrahmane Raouya, ex-ministre des Finances, a annoncé qu’il ne pouvait pas faire plus de 5 % de réduction (à l’APN, Raouya a annoncé que le déficit budgétaire sera de 1.976,9 milliards de dinars, presque 14 milliards de dollars, fin 2020). Donc, on a l’impression que les départements ministériels ne veulent pas lâcher du lest par rapport à leurs budgets. Il faut ajouter les dépenses exceptionnelles liées à la lutte contre la Covid-19. A la fin, on pourrait ne rien pouvoir économiser avec un budget de fonctionnement en hausse par rapport aux prévisions. Il faut noter aussi que plus de 50 % du budget de fonctionnement est constitué de masse salariale. L’Etat ne veut pas toucher à cette masse tout en voulant faire des économies. Les organismes en charge des notations verront ces incohérences. Ils mettront des notes sur les capacités de rationaliser les dépenses.
Dans pareilles situations, quelles sont les mesures d’urgence à prendre?
Il faut, à tous les niveaux, arrêter de faire dans l’à peu près notamment en matière de nomination de ministres à des postes clefs comme ceux de la finance. La fonction du ministre des Finance est devenue le parent pauvre de l’Etat. Idem pour la Banque d’Algérie. C’est la deuxième fois qu’elle se retrouve avec des dirigeants intérimaires. Il n’y a pas eu de nouveau gouverneur après la nomination d’Aymane Benabderrahmane. Il faut qu’il ait de la stabilité au ministère des Finances et à la Banque d’Algérie.
Au delà de la stabilité institutionnelle, comment faire pour économiser de l’argent, réduire les dépenses?
Réduire le train de vie de l’Etat et la masse salariale. En raison de la crise sanitaire liée à la Covid 19, des entreprises ont réduit leurs personnels et arrivent à réaliser la même activité avec presque deux fois moins de personnes. Comme les entreprises, l’Etat doit se lancer dans la quête de la productivité. On ne licencie pas dans la fonction publique, mais il ya un mouvement inverse qui a été entrepris avec la permanisation de milliers de contractuels en CDD (contrat à durée déterminée). La masse salariale va de nouveau augmenter. Avant tout, l’Etat doit se désengager d’activités où il fait moins bien les choses. L’Etat doit être régulateur, ne doit pas produire les machines à laver ! On pense qu’être partout, c’est être fort. Et que se limiter à la régulation, c’est perdre le pouvoir, alors que non, il n’y a pas de raison. Je peux être régulateur et être le détenteur du pouvoir dans le secteur économique, sans perdre de l’influence. En Algérie, on considère qu’il faut être acteur pour avoir le pouvoir. Du coup, la régulation passe en seconde position. On se retrouve avec des activités économiques privées et publiques non régulées.
Farid Bournnani est le plus grand financier d’Algérie. Il est d’un niveau impressionnant et d’une compétence exceptionnelle. Je n’ai jamais connu plus fort que lui en Algérie. Cette intervention vaux de l’or.
Comme à l habitué Farid bourenani est un expert et très bonne analyse de notre situation financière et économique
à le lire, j’ai l’impression de lire une intervention bien préparée d’un technocrate bureaucrate du FMI ou de la BM. Rien d »impressionant.