L’écriture est-elle intemporelle, figée dans un héritage immuable, ou suit-elle les mutations et les évolutions des sociétés ? Cette question essentielle a été placée au centre de la première conférence de l’espace Afrique lors de la 27e édition du Salon international du livre d’Alger (SILA). Dans cet espace de réflexion et de débat, Louisa Ait Hammou et Benaouda Lebdai ont accueilli trois invités de renom, venus de Côte d’Ivoire, du Togo et de la Guinée, pour explorer le thème de « Littérature africaine : Présence et nouvelle conscience », soulignant ainsi la vitalité et la diversité des voix littéraires du continent.
L’ivoirien Siméon Conan, essayiste politique et candidat aux élections présidentielles de 2010 et 2015 en Côte d’Ivoire, a ouvert le débat en abordant la question sous l’angle de la globalisation. « Les Africains peuvent-ils vivre à l’écart du monde ? » s’interroge-t-il, rappelant les défis posés par un monde de plus en plus interconnecté. Pour lui, la littérature africaine, désormais plus accessible grâce aux nouvelles technologies, est un reflet de cette mondialisation. « Nos écrivains développent de nouvelles consciences, ils se sentent libres d’aborder tous les sujets d’actualité sans complexes ni tabous », affirme-t-il. La parole littéraire en Afrique s’ouvre, se décloisonne, permettant aux jeunes auteurs de s’approprier des problématiques globales tout en résonnant avec leur propre réalité.
Pour Simeon Konan, la littérature africaine suit un parcours historique marqué par les luttes pour l’émancipation des peuples, un héritage que les nouvelles générations perpétuent et enrichissent. « De la lutte pour l’émancipation à la quête des droits et des libertés, en passant par les défis de l’achèvement des indépendances, l’importance des questions de souveraineté et de panafricanisme est centrale », souligne-t-il. Il rappelle que, « en 60 ans d’indépendance, l’Afrique a connu 50 guerres civiles et au moins 267 coups d’État. Ceci doit nous interpeller », pointant du doigt les défis politiques et sociaux encore prégnants sur le continent.
Le thème de la souveraineté a également été abordé par Kangni Alem, professeur de littérature comparée à l’Université de Lomé, mais sous l’angle de l’histoire littéraire. Selon lui, « la multiplication des maisons d’édition en Afrique est un signe de la souveraineté éditoriale naissante du continent ». Cette dynamique, affirme-t-il, est intrinsèquement liée aux nouvelles consciences africaines et aux questions de domination. « Qu’allons-nous écrire sur nous ? » questionne-t-il, insistant sur la nécessité pour les Africains de se réapproprier leur discours et de produire une littérature qui témoigne de leurs propres réalités, loin des stéréotypes imposés de l’extérieur.
Mohamed Lamine Camara, représentant de la maison d’édition L’Harmattan Guinée, a quant à lui mis l’accent sur le lien indissociable entre la littérature et les préoccupations sociales contemporaines. « La littérature ne peut être dissociée de l’impact de nos préoccupations sociales », affirme-t-il, soulignant que les nouveaux auteurs africains s’engagent dans une écriture en phase avec les problématiques actuelles de leurs sociétés. Pour lui, « l’objectif est de faire écho à ces préoccupations auprès de nos contemporains afin de renforcer le lien avec nos communautés et de les sensibiliser aux défis d’aujourd’hui ». Cette littérature, ancrée dans le quotidien, aspire à être un vecteur de changement et d’unité.
Cette table ronde a ainsi permis de mettre en lumière une génération d’auteurs africains en quête de sens et d’identité, balançant entre héritage et modernité. La littérature africaine semble aujourd’hui traversée par un élan de conscience collective qui vise à questionner les réalités sociales et politiques du continent tout en affirmant une singularité forte dans le paysage littéraire mondial. Une dynamique puissante et engagée, qui, espérons-le, continuera d’être le miroir des préoccupations et des aspirations des peuples africains, en portant leurs voix dans un monde en perpétuelle mutation.
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