Il en est de certaines villes comme des personnes, elles arrivent à traverser le temps sans être sous les feux de la rampe, insensibles aux effets de mode. Leur valeur n’est en rien remise en cause. La discrétion, comme la sobriété, est le but recherché. La région du M’Zab en fait partie.
Plusieurs siècles après sa fondation, l’histoire de la cité pentapole, de ses habitants et de ses traditions reste méconnue. Smail Benhassir et Hocine Sedikki se sont attelés à travers un très beau livre, édité chez Al Bayazin, augmenté et enrichi récemment, à combler cette lacune. Outre son aspect heuristique, cet ouvrage s’avère être une véritable œuvre d’art où une ville millénaire se dévoile comme elle ne l’a jamais fait.
A coup de petits textes bien ciselés, de superbes photographies, de beaux dessins illustrant chaque chapitre et des repères historiques, Smail Benhassir et Hocine Seddiki révèlent des secrets bien gardés et l’indéniable originalité du M’Zab. La succession de textes et de photographies suscite l’intérêt du lecteur et donne une formidable envie de faire le voyage pour découvrir en situ ce joyau, si admirablement peint par les deux auteurs.
Le voyage initiatique que permet Le M’Zab, ramène le lecteur aux origines de la cité pentapole. Un voyage dans le temps pour accompagner les deux auteurs à l’idée fondatrice de cette vallée mythique et mystique. Un retour à 1300 ans en arrière, très loin du M’Zab, à Koufa, en Iraq, où naquit l’idée de cette ville prestigieuse. «Quelle étrange destinée que celle de ces hommes, pourchassés, traqués, repoussés dans les recoins les plus éloignés, isolés et qui, à force d’ingéniosité, ont transformé en paradis terrestre, l’une des contrées les plus inhospitalières de la terre».
Kairouan, Isedraten et Tihert, relatent les deux auteurs, étaient «les haltes successives d’une longue marche de quatre cents ans, un exil forcé d’abord, voulu ensuite. Voulu par une volonté farouche de liberté, de grands espaces, de pureté et de préservation des fondements d’une pensée». Comment la vie a-t-elle pu «prendre» et perdurer dans ce désert aride et caillouteux? Des images d’hommes de volonté qui façonnent le désert pour préserver leur vision, construire leurs mosquées et leurs habitations, ne manquent pas de s’imposer à l’imaginaire du lecteur.
Le M’zab, cette splendeur fille d’une ardente volonté de vivre
La vallée du M’Zab, apprend-on dans ce livre, a été peuplée après que les Fatimides aient détruit en 911 Tihert, première ville en Algérie fondée par les Ibadites. Ces derniers se dispersent à travers le pays avant de s’installer définitivement, des années plus tard, dans la vallée du M’Zab. Ils y fondèrent les cinq villes qui forment la pentapole.
La ville d’El Atteuf (Tajnint) a été la première ville de la cité pentapole à avoir été bâtie en 1012 dans ce désert infini. «Le vrai désert dans le désert», écrivent Smail Benhassir et Hocine Seddiki pour décrire l’inhospitalité des lieux. L’édification d’El Ateuf fut suivie par celle de Bounoura en 1045, Ghardaïa en 1053 la ville, Melika en 1124 et Beni Isguen en 1347. En 1651, une autre ville, un peu plus lointaine, émerge du désert: Guerrara. Berriane vient clore ce mouvement d’édification en 1690.
Classée au patrimoine mondial de l’Unesco en 1982, Ghardaïa se dévoile dans ce livre pour ce qu’elle est: un joyau urbanistique incomparable. L’ouvrage, rarissime dans le monde de l’édition algérienne, déroule sous les yeux du lecteur des centaines de photographies aussi parlantes les unes que les autres. Le papier glacé utilisé pour la fabrication du livre rehausse la qualité des images et l’attractivité de l’ouvrage. Ces photographies, ainsi présentées, pourraient même se dispenser des légendes qui les accompagnent. Elles sont littéralement “parlantes”.
MM.Benhassir et Seddiki ont également mis en évidence l’aspect architectural et urbanistique unique de cette pentapole. Abritées derrière les remparts qui les protègent, les constructions apparaissent aux visiteurs comme de véritables masses compactes se fondant dans le paysage alentour.
Tranchant avec les excroissances repoussantes de la majorité des villes algériennes, les villes du M’Zab, notent les auteurs, ont suivi des schémas d’extensions raisonnées. Elles se sont développées selon des arcs concentriques autour de la mosquée. Les rues entourent de plusieurs circonvolutions concentriques la partie centrale du ksar. Elles sont néanmoins, des rues perpendiculaires descendantes». Un génie qui fera dire au célèbre architecte français Le Corbusier «à chaque fois que je me trouve à cours d’inspiration, je prends mon billet pour le M’Zab».
A cette architecture unique, se greffent de véritables édens. Jardins et palmeraies du M’Zab se distinguent par de grandes étendues verdoyantes qui apparaissent aux visiteurs comme de véritables mirages dans ces paysages nus.
«Appliquant un précepte largement affirmé par le coran, les mozabites ont mobilisé toute leur énergie pour la création d’un véritable paradis terrestre. Les palmeraies-jardins semblent naturelles tant la vie, le charme, la douceur, y sont présents. Le contraste avec le désert rocailleux environnant est d’autant plus frappant», y-lit-on.
Les auteurs, qui ont eu la chance d’admirer in situ ces lieux ne manquent pas de noter qu’on imagine “mal les sacrifices, les efforts d’ingéniosité qu’il a fallu pour transformer l’endroit et y maintenir la vie. Les travaux de barrages sont réalisés collectivement, avec une organisation et une discipline qui feraient pâlir de jalousie nos managers modernes. Les systèmes d’irrigation et une gestion du partage de l’eau équitables et sans égal”.
Les habitations mozabites et leur introversion sont superbement décrites dans l’ouvrage. On précise, à ce titre, que rien de son aspect extérieur ne devait révéler les classes sociales. «Tout est fait pour préserver la ‘’horma’’, familiale: construites en gradins sur un monticule, les terrasses tournées vers l’extérieur, la hauteur uniforme, des maisons, les hauts murs, l’unique porte toujours en chicane évite toute surprise, fenêtres et terrasses interdisant le regard indiscret». Évoquer les habitations des Mozabites amène les auteurs à parler de leurs souks légendaires où se côtoient tradition et modernité. «Au souk de Ghardaïa, on trouve de tout y compris l’artisanat d’autres régions d’Algérie ou même de pays mitoyens d’Afrique noire».
Dans cette multitude de produits, il est inévitable de croiser le fameux tapis de Ghardaïa. Il est même le produit phare de ces souks autrefois exclusivement réservés à l’exposition des produits artisanaux réalisés par les femmes des cinq villes du M’Zab.
«Parmi les produits de l’artisanat local, les tapis et les tentures se taillent la part du lion, en particulier le tapis de Beni Isguen, le plus prisé, la fameuse couverture de mariage, une grande pièce de laine aux bandes noires, bordeaux, vertes et blanches».
Le marché n’est pas qu’une explosion de couleurs. C’est aussi des senteurs qui chatouillent les sens et qui poussent le visiteur à s’en procurer.
«Au cœur du marché, une multitude d’odeurs se dégagent d’une véritable moisson d’épices : le chih(thym sauvage), la menthe, le romarin, le basilic, la coriandre, ras el hanout ( mélange de plusieurs épices)..des dattes, des tomates séchées et de nombreuses denrées produites dans le pays. Lek’hol ce maquillage qui donne un regard ténébreux , le tfal pour les cheveux, le qronfell (les clous de girofle)».
L’ouvrage met aussi en évidence ce qui distingue le M’Zzab des autres régions d’Algérie avec ses monuments religieux et ses cimetières qui rivalisent de simplicité. «Il fallait une élévation de pensée au-dessus de tous les fétichismes pour admettre le postulat que les édifices où Dieu recevait l’adoration de ses fidèles n’avaient nul besoin de signes extérieurs de richesse», notait à ce propos Manuelle Roche.
«C’est avec les monuments religieux que les mozabites expriment avec plus de force tranquille leur différence et leur originalité», notent les auteurs. Ils précisent que le voyageur habitué aux pratiques du nord «sera surpris par la simplicité et la ferveur discrète qui entourent ces lieux où la pratique de la foi s’exprime dans toute ses manifestations : la prière, la vie spirituelle, la mort, le respect des ancêtres et des maîtres de la pensée».
Mausolées, cimetières et mosquées sont ainsi l’expression de la simplicité et de l’humilité des mozabites. Aux cimetières du M’Zab, on ne voit que «de simples pierres, dressées au-dessus des tombes des débris de poteries, des gargoulettes et des plats pour la reconnaissance visuelle…aucun autre signé distinctif, ni de personnalisation, ni de richesse», décrit-on.
La vallée du M’Zab ne tourne pas, cependant, le dos au pays ; elle reste ouverte et modernise ses installations tout en respectant ses propres traditions. «Malgré de perceptibles concessions à la modernité, les cités traditionnelles du M’Zab demeurent une part du patrimoine de l’humanité, inspirant architectes, poètes et artistes. Elles provoquent l’émotion et l’inspiration chez ceux dont la sensibilité ou la connaissance a de générosité, d’humilité et de simplicité».
En 176 pages au format 18X23cm couverture avec rabats et jacquette, Le M’Zab est l’un des rares ouvrages édités en Algérie sur cette région si singulière par sa localisation, sa topographie et son urbanisme. Une région qui, tout en s’ouvrant aux technologies modernes, n’en garde pas moins intacte son organisation sociale et surtout son architecture qui a inspiré tant de grands architectes. Le Corbusier, Pouillon, …. ne sont que quelques noms parmi d’illustres architectes qui ont été séduits par le M’Zab. Un livre somptueux à acquérir et à offrir à ses amis d’ici et d’ailleurs.
*Le M’Zab de Smail Benhassir & Hocine Seddiki, 176 pages, Editions al Bayazin, 2000 da
Merci pour votre article et pour votre belle présentation de ce livre d’art. Je l’ai lu avec un grand plaisir. Vous m’avez donné envie de l’acheter pour moi et pour l’offrir. Je vais le chercher en librairie, dès demain. Si vous avez une adresse pratique à nous communiquer, merci d’avance. Une telle publicité est la bienvenue.
Sur les Ksor objet de ce livre et de votre article, malheureusement, tout est fait pour les enlaidir. Je fais référence à toute les extensions anarchiques, en béton SVP, sans aucun respect de l’architecture locale ni des conditions climatiques difficiles. Les autorités compétentes doivent mettre un terme à cela afin de sauvegarder ce joyau architectural millénaire.
Pour être exhaustive, pouvez-vous, SVP, comme vous l’avez fait pour El Atteuf (Tajnint), rajouter les noms amaziɣ (de mémoire : Taɣardayt -ɣ=gh- pour Ghardaïa, Ath-Mlikchth pour Mélika, Ath-Izǧen (ǧ=dj donc Izdjen) pour Béni-Yezguen, Ath-Bounour pour Bounoura) aux noms officiels de ces Ksor, la toponymie réelle étant un marqueur historique et un réfèrent culturel et identitaire amaziɣ?