L’échec de l’OPA de Taqa sur Naturgy en 2024 n’a pas refroidi les ambitions de la compagnie émiratie. Aujourd’hui, alors que des négociations se dessinent entre le fonds souverain d’Abou Dhabi et les actionnaires CVC et GIP, la question énergétique se mêle à des enjeux géopolitiques de grande ampleur. En toile de fond, on trouve la volonté des Émirats Arabes Unis (EAU) d’étendre leur influence en Afrique du Nord et les tensions croissantes avec l’Algérie, acteur clé du gaz en Méditerranée.
Naturgy, l’un des principaux clients de Sonatrach, la société nationale algérienne des hydrocarbures, détient 4 % des parts de l’opérateur énergétique espagnol. En avril 2024, Taqa, la holding d’Abou Dhabi spécialisée en eau et énergie, avait entamé des négociations avec les deux principaux actionnaires de Naturgy pour acquérir leurs parts. Cette procédure aurait dû déboucher sur une offre publique d’achat (OPA) sur l’intégralité du capital de Naturgy selon la législation espagnole. Cependant, en juin 2024, ces négociations ont échoué, et le projet a été abandonné.
Taqa, un pivot de la transition énergétique des EAU
Taqa, acronyme de la Compagnie nationale d’énergie d’Abou Dhabi, se positionne comme un acteur central dans la diversification économique des EAU. Historiquement axée sur le pétrole et le gaz, Taqa vise un objectif ambitieux : atteindre 150 GW de production énergétique d’ici 2030, avec 100 GW provenant des énergies renouvelables via Masdar. Avec seulement 24 GW actuellement, dont 80 % provenant du gaz, 14,7 % du nucléaire et 5,3 % du solaire, l’entreprise doit accélérer ses investissements. L’acquisition de Naturgy serait stratégique, offrant un accès privilégié au marché espagnol et aux ressources gazières algériennes.
L’Algérie face à l’expansion émiratie
L’Algérie n’est pas favorable à cette expansion. Une source spécialisée en renseignement a déclaré : « L’Algérie est déterminée à bloquer cette opération, car elle voit d’un très mauvais œil l’influence croissante des Émirats dans la région. » En juin 2024, Sonatrach et Naturgy ont renouvelé leur accord sur les prix du gaz après l’échec de Taqa à prendre le contrôle de l’opérateur espagnol, un enjeu stratégique pour l’Algérie.
Naturgy, non seulement un grand client de Sonatrach, détient également 49 % du capital de la société gérant Medgaz, le gazoduc sous-marin reliant l’Algérie à l’Espagne. Si les Émirats acquirent 40 % de Naturgy, ils se retrouveraient dans le tour de table de Medgaz, une situation que l’Algérie veut éviter à tout prix. Les relations entre les deux pays sont tendues depuis le Printemps arabe, avec des accrochages sur des dossiers comme la Libye, le Sahara occidental, et la normalisation des relations avec Israël.
L’Afrique, nouveau terrain de jeu des monarchies du Golfe
Si l’Algérie reste un acteur majeur du gaz en Méditerranée, les Émirats ont intensifié leurs investissements en Afrique, devenant le deuxième plus grand investisseur étranger après la Chine, avec près de 60 milliards de dollars depuis 2022. Leur présence s’étend des infrastructures aux ressources naturelles, avec 26 000 entreprises africaines enregistrées à la Chambre de commerce de Dubaï. Leur intérêt pour la sécurité maritime, l’alimentation et les minerais en Afrique de l’Est montre leur stratégie de diversification d’influence.
Un jeu d’équilibre entre les grandes puissances
Les Émirats naviguent entre les influences de Washington et de Moscou. « Historiquement alliés des États-Unis, ils tissent désormais des liens étroits avec la Russie », note un expert en intelligence économique. Cette dualité impose un équilibre précaire dans leurs relations avec le Maroc, allié des États-Unis, et l’Algérie, plus proche de la Russie.
L’Espagne, vue comme une porte vers l’Europe, devient un territoire clé pour les pays du Golfe, y compris l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui perçoivent Madrid comme un pont entre l’Europe, l’Afrique du Nord et l’Amérique latine.
Un bras de fer énergétique en perspective
L’enjeu autour de Naturgy dépasse largement l’acquisition financière, illustrant un affrontement stratégique entre deux visions du Maghreb et du marché énergétique méditerranéen. Alors que l’Europe cherche à sécuriser ses approvisionnements énergétiques, le bras de fer entre Alger et Abou Dhabi pourrait redessiner les alliances énergétiques en Méditerranée.