Les ressortissants algériens bloqués à l’étranger lancent un nouvel appel de détresse. Près de cinq mois depuis la fermeture des frontières, en raison de l’épidémie du coronavirus, ils interpellent, une fois de plus, le président Abdelmadjid Tebboune pour mettre fin à leur calvaire.
Sur des groupes Facebook, des Algériens bloqués en Europe, en Asie, en Amérique ou en Afrique, guettaient depuis dimanche soir les décisions du dernier Conseil des ministres. Ils espéraient ainsi de lire dans le communiqué final une décision concernant leur rapatriement en Algérie. « Silence radio ». Outre la visite du Ministre des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, en Italie et la décision d’acquérir des unités de production usagées de l’étranger, le communiqué n’annonçait aucun vol de rapatriement.
Les déclarations de Sabri Boukadoum plus tôt dans la journée, au forum du quotidien Echaab, durant lequel il a affirmé que les Algériens bloqués à l’étranger « retrouveront bientôt leur pays », ne semblent pas les rassurer. Leurs situations est de plus en plus précaire, voire « insupportable », selon les témoignages de plusieurs personnes à 24H Algérie. En Turquie, en Allemagne, en Indonésie ou même en Tunisie, pays frontalier à l’Algérie, ils sont « abandonnés à eux-même, sans ressources financières, sans un toit », lorsqu’ils ne sont pas aidés par des membres de la diaspora ou des associations caritatives. Dans certains pays, après avoir été pris en charge par les autorités consulaires durant quelques semaines, celles-ci « ne peuvent plus assumer de telles charges ». « Nous ne pouvons rien faire sans une décision du président », leur dit-on.
« Beaucoup dorment dans les rues »
En Turquie, malgré les précédents vols de rapatriements, en avril puis en juin, ils sont encore « plusieurs centaines » de ressortissants algériens à errer dans les rues d’Istanbul. « Nous sommes bloqués en Turquie depuis le 17 mars, suite à la fermeture de l’espace aérien algérien. Nous sommes, depuis, dans une misère inimaginable. Nous manquons de ressources financières pour satisfaire les besoins les plus élémentaires et nous n’avons plus aucun toit pour dormir », fait savoir Yacine, père de deux filles, à 24H Algérie.
Après le premier vol de rapatriement, le 04 avril dernier, « l’ambassade nous a hébergés dans 13 hôtels à Istanbul. Nous avons été mis à la porte au bout de 20 jours, faute de paiement », fait-il savoir. « Nous vivons depuis de la charité des associations et de quelques bienfaiteurs qui nous aident. Ils nous ont pris en charge pendant quelques jours mais, hélas, leurs ressources sont aussi limitées », poursuit-il.
Les Algériens bloqués à Istanbul ont alors décidé de se rendre à l’aéroport de la ville pour y passer leurs nuits, espérant un vol de rapatriement. « Nous avons passé cinq nuit avant que les forces de l’ordre turques ne nous obligent à quitter les lieux ».
Eparpillés actuellement dans les rues de la métropole turque, les ressortissants algériens envisagent, selon Yacine, de revenir à l’aéroport d’ici quelques jours. « Nous n’avons nulle part où aller. Beaucoup dorment dans les rues d’Aksaray et de Sirinevler, dont des personnes âgées, des femmes ou des enfants de bas âges. Ils sont nourris grâce aux Algériens résidents ici mais certains passent leurs nuits sans avoir avalé quoi que ce soit », ajoute-t-il.
M. L. est bloqué en Indonésie, à plus de 12.200 kms de l’Algérie. « C’est difficile, psychologiquement surtout, de se savoir aussi loin de sa famille, ses enfants, ses proches et amis. Inquiets à la fois pour eux et pour nous. Moi je suis un cas particulier. J’étais ici en mission et me suis retrouvé bloqué. Mais ma compagnie m’a pris en charge jusqu’ici », précise-t-il.
D’autres Algériens, actuellement à la capitale Jakarta ou à Bali, « n’ont pas cette chance. Ils sont livrés à eux-même, sans le sous. En plus, deux couples sont à Bali pour une lune de miel … qui s’est transformée en cauchemar. Vous imaginez ? ».
Les ressortissants algériens ont bien contacté l’ambassade d’Algérie, au lendemain de la fermeture des frontières, à la mi-mars. « Les frontières ont été fermées pour tous, mêmes aux Algériens résidants en Algérie. Ce qui n’était pas le cas dans d’autres pays », fait-il remarquer.
« Je me suis inscris à l’ambassade comme Algérien bloqué à Jakarta, en Indonésie. Les autres ont fait de même mais bien évidemment l’ambassade ne pouvait rien faire pour eux. Les autorités consulaires étaient elles-mêmes surprises par cette décision et n’avaient aucun budget pour prendre en charge les gens ». Tout comme en Turquie, « c’est les Algériens résidant ici en Indonésie qui se sont mobilisés pour aider ces malheureux afin de leur fournir un toit et de la nourriture. Ensuite, vers la fin du mois sacré de ramadan, l’ambassade a apparemment reçu un budget pour la prise en charge » des ressortissants algériens, placés dans des hôtels.
Un hébergement qui n’a duré que 25 jours. « Rebelote, nous sommes revenus au plan initial. Les Algériens d’Indonésie se sont montrés très solidaires. Mais il faut considérer le fait que nous vivons une pandémie mondiale qui a un impact sur la vie des gens, même résidants, ils ne peuvent pas aider éternellement. Ils ont aussi une famille à nourrir, des problèmes avec leurs employeurs car les restrictions budgétaires se font partout en ce moment », rappelle M.L.
« J’ai notifié à l’ambassade plusieurs fois des vols disponibles entre Jakarta et Dubai ou Jakarta et Doha. Mais nous ne pouvons pas prendre un avion sans confirmer que le second trajet depuis Dubai/Doha vers Alger sera assuré. Nous voulions rejoindre les Algériens qui allaient être rapatriés de Dubai. Mais malheureusement, nous sommes bien coincés », raconte-t-il.
Hier, les autorités indonésiennes ont annoncé que les Algériens détenteurs d’un visa gratuit ont 30 jours, à compter du 13 juilet, pour quitter le pays. Sinon, « ils seront soumis aux sanctions de l’administration de l’immigration ».
Vives inquiétudes pour les personnes âgées
Yasmina, elle, est bloquée aux Pays-Bas, où elle s’était rendue en mars pour une visite familiale de 10 jours. « Nous avons contacté le consulat. Nous avons été là-bas pour qu’ils prennent nos informations, avons signé une feuille pour accepter d’être placé en quarantaine une fois en Algérie. On nous a indiqué que le vol de rapatriement se fera de la Belgique ».
Mais depuis 2 mois, « silence radio ». « Les autorités consulaires elles-mêmes se trouvent dans un flou total. De nombreux Algériens sont bloqués ici, dont des étudiants. Certains n’ont même pas où loger. Nous avons beaucoup de chance car notre famille a accepté de nous prendre en charge, souligne-t-elle. « Cette situation est surtout affligeante pour ma mère. Nous dépensons beaucoup pour ses médicaments ». Faute d’une assurance santé, il lui est également compliqué de s’en procurer et suivre son traitement.
Les parents de Sofia doivent faire face à la même situation. « Ils sont venus le 29 février et devaient repartir le 19 mars. Ils ne sont pas les plus à plaindre, évidemment, mais psychologiquement, ils ne vont pas bien. Ma mère est diabétique, hyper-tendue et mon père a récemment subi une opération du coeur. Ils doivent consulter leurs médecins », fait-elle savoir.
Tout comme beaucoup de ressortissants bloqués, Sofia a également essayé de prendre attache avec l’ambassade afin de rapatrier ses parents. « Je les avais inscrit sur la plateforme mise en ligne le 16 avril dernier. Nous avions espéré un rapatriement à ce moment là. Malheureusement, mis à part les 2 vols le 30 mai depuis Paris, y a plus rien ».
Idem pour F. résidente en Allemagne. « Mes parents sont chez moi depuis le 8 mars. Mon père souffre d’une insuffisance rénale. Nous avons contacté l’ambassade tellement de fois pour les rapatrier mais nous obtenons toujours la même réponse: on ne peut rien faire pour vous. On attend la décision du Président », fait-elle savoir.
Notre interlocutrice fait également savoir que plus de 100 Algériens sont abandonnés à eux-mêmes à Frankfurt. « Heureusement que la communauté les a aidé à louer. L’association catholique Caritas aussi. Beaucoup de personnes sont âgées et malades. Le souci est que les médicaments sont chers, les médecins aussi. L’état de santé de certains s’aggrave », a-t-elle souligné.
L’ambassade d’Algérie à Frankfurt a bien accueilli quelques personnes mais ne peut prendre en charge plus de personnes. « Mais quoi manger, où dormir ne sont plus important quand certains sont malades sont sans médicaments. Leur état psychologique aussi se dégrade », s’alarme F.
Des Algériens sont également bloqués en Tunisie. Leila en est un exemple. Coincée dans le pays voisin depuis mars dernier, où elle s’était rendue pour participer à une résidence artistique, elle n’arrive pas à rallier l’Algérie. « Nous sommes dans une situation très critique. Financièrement, la situation se dégrade de jour en jour », a-t-elle déclarait le 1 juillet dans une vidéo.
« J’étais à Tunis, où des amis et leurs familles nous ont hébergés. Puis nous avons décidé le 10 de nous rendre aux frontières. Nous avons dormi là-bas jusqu’à 04H du matin avant que les forces de l’ordre ne nous évacuent. Nous avons été transférés à Taberka, où nous avons été placés dans un centre culturel et le Croissant rouge nous a pris en charge durant ces 3 derniers jours », raconte-t-elle.
Le Croissant rouge ne pouvait alors plus prendre en charge Leila et quelques dizaines Algériens, qui se sont dirigés à El Kef, où se trouve un Consulat d’Algérie. « Nous sommes près de 300 à travers la Tunisie. Nous nous sommes inscrits à la liste pour être rapatriés. Des opérations de rapatriements ont eu lieu, nous disent-ils mais nous n’avons pas été contactés. Le consul général à El Kef nous a, par contre, accueilli et nous a affirmé ne pas avoir des informations concernant des éventuelles opérations de rapatriement ».
La frustration de ressortissants coincés à l’étranger est d’autant plus grande lorsqu’ils apprennent le rapatriement de l’Algérie de ressortissants de plusieurs nationalités, dont 350 Tunisiens le 27 juin dernier via le poste frontalier d’Oum T’boul. « C’est une honte. Pourquoi ne rapatrient-ils pas les Algériens alors que la France ou d’autres pays rapatrient leurs ressortissants bloqués en Algérie », s’indigne-t-on.
L’Algérie a déjà rapatrié 400 ressortissants algériens fin mai, par voie terrestre, après avoir effectué deux vols au mois de mars.
Sur Twitter et Instagram, des internautes ont lancé le hashtag « Rapatriement Algérie », afin d’interpeller la présidence de la République.
Selon l’agence de presse officielle (APS), l’Algérie a rapatrié plus de 13.000 ressortissants depuis le début de l’épidémie. Néanmoins, les autorités n’ont communiqué aucun chiffre sur le nombre d’Algériens toujours bloqués à l’étranger.
Selon France 24, qui ne précise pas la source de ce chiffres, ils seraient près de 5000 bloqués en France.