Soufiane Djillali, président de Jil Jadid, a été reçu, samedi 13 février 2021, par le président Abdelmadjid Tebboune, au siège de la présidence de la République à El Mouradia, à Alger. Il revient dans cet entretien sur le contenu de la discussion qu’il a eue avec le chef de l’Etat.
Quel est le contexte de l’audience qui vous a été accordée par le chef de l’Etat, moins de 24 heures après son retour d’un séjour de soins en Allemagne ?
Le président de la République a voulu donner un signal important que l’épisode de la maladie était fermé. Il a tourné la page. Il est là en possession de ses moyens pour entamer réellement les réformes qu’il a promis.
Le message est également clair: le président a l’intention de conforter le dialogue comme un outil de travail. Les analystes ou la presse n’ont pas fait le rapport entre le président Bouteflika qui, en vingt ans de pouvoir, n’a reçu aucun parti politique et le président Tebboune qui, en une année, à reçu, à plusieurs reprises, les représentants des partis d’opposition.
Il démontre donc une nette volonté d’écouter le reste de la classe politique. Il s’est ouvert vers l’opposition.
Concernant la santé du président, comment l’avez- vous trouvé ?
Il m’a semblé tout à fait remis de l’épisode de la maladie. J’ai compris qu’il n’y a plus d’autres rendez-vous médicaux ou d’autres absences, que c’est clos. C’est bon. Il n’y a pas de formes de séquelles à traîner ou des choses de ce type.
Quel était le contenu de la discussion avec le chef de l’Etat ?
L’objet premier était de discuter du projet de révision de la loi électorale et la préparation des élections législatives anticipées. Le président voulait avoir un avis oral puisque beaucoup de partis ont participé par écrit au projet de révision de la loi électorale. Nous avons eu des échanges et il a pris note. Il n’a pas encore pris la décision finale sur certains points.
Nous sommes revenus sur la question des 4 % (avoir 4 % des suffrages obtenus lors de précédentes élections est une condition pour les partis de participer aux prochains scrutins, NDLR). J’ai rappelé au président qu’on ne peut pas construire une nouvelle Algérie en faisant référence à des résultats d’élections organisées sous l’ancien régime et qui, de notoriété publique, avaient été trafiquées. C’est inadmissible et ça serait une tâche pour les nouvelles institutions.
Et qu’en pense le président Tebboune de ce point ?
J’ai compris que le président veut en finir avec les scènes politiques transformées en folklore. Il n’est plus intéressé par noyer la scène politique pour ensuite manipuler les résultats des scrutins. Il veut, au contraire, une classe politique sérieuse avec des élus réellement représentatifs.
La question est comment créer un filtre qui soit démocratique et raisonnable à la fois ? Je ne sais pas mais le président m’a confirmé la publication dans les prochains jours des conclusions finales du projet de révision de la loi électorale.
On verra donc après, quelles sont les mesures définitivement retenues.
Pensez-vous que la condition des 4 % sera supprimée?
Je pense qu’au moins pour les prochaines élections, il n’y aura pas de référence à cette condition mais il est possible qu’ils exigent un certain nombre de signatures pour tout le monde (pour se porter candidats).
Avez-vous évoqué l’organisation d’élections législatives anticipées ?
Oui. Des élections législatives auront lieu, au plus tard, en juin 2021. Le calendrier n’est pas encore fixé, le président ne m’en a pas fait part, mais j’ai compris que c’est assez rapide.
Le mois de Ramadhan (prévu en avril) et l’Aïd el Fitr (en mai) sont pris en compte. Il peut y avoir un chevauchement entre le Ramadhan et la campagne électorale, donc, c’est compliqué. Mais, d’ici juin, il est évident que les législatives anticipées seront organisées.
Des élections locales anticipées sont également prévues avant la fin de 2021. Le président pense les organiser bien avant. Le président de la République n’exclut pas la dissolution de toutes les assemblées élues, autant législatives que locales. En tous cas, les élections auront lieu selon un calendrier étalé sur toute l’année 2021.
Le chef de l’Etat a-t-il abordé la place qu’aura la société civile dans le prochain Parlement ?
Pas en particulier, mais j’ai compris que le président veut un Parlement sérieux où il y aura des députés indépendants. Les indépendants pourront se présenter comme candidats selon des critères objectifs.
Jil Jadid participera-t-il aux élections législatives ?
Nous attendons l’élaboration finale de la loi électorale. Après, les instances officielles du parti prendront la décision.
Depuis plusieurs mois, nous sommes sur une opposition qui accepte le dialogue. A plusieurs reprises, nous avons eu un contact avec le président de la République. A chaque fois, j’en ai informé l’opinion publique. Nous essayons de travailler pour éviter de laisser un vide qui, forcément, sera réoccupé par l’ancien système. Notre rôle est de préparer une nouvelle génération, des gens nouveaux, compétents, instruits, patriotes qui ont envie de gérer le pays. L
e Hirak est un état d’esprit. Il faut qu’il passe de la rue, qui a été nécessaire à un moment donné, à l’intérieur des institutions pour insuffler cet état d’esprit. Donc, il ne s’agit pas simplement de réclamer, il s’agit maintenant d’assumer et d’agir.
Qu’en pensez-vous des appels relatifs à un éventuel retour à la rue?
Il est légitime de manifester pour exprimer aussi que le Hirak est toujours là, qu’il est toujours vigilant, qu’il attend toujours les grandes réformes, mais, en même temps, je pense qu’il faut sortir de l’esprit de confrontation directe. Il y a un pouvoir qui est en train de se mettre en place sur la base de promesses de construction d’un Etat de droit, d’une démocratie.
Il y a une chance parce que les conditions historiques, sociologiques, politiques et même psychologiques sont là pour qu’il y ait ce changement. Donc, il faut saisir cette occasion. Et, c’est là que j’exhorte les vrais hirakistes de passer de la rue aux institutions.
Avez-vous discuté de la question des détenus d’opinion?
C’est clair. J’ai réaffirmé notre position appelant à des mesures d’apaisement. Il faut mobiliser les Algériens sur la base de garanties et aussi sur celle d’un sentiment que le pouvoir politique est là pour régler les problèmes.
Tout ce qui a pu être fait comme position ou acte durant le Hirak, il faut le laisser dans le contexte du Hirak. Il faut aller de l’avant.
Est-ce que le chef de l’Etat a-t-il parlé d’un changement du gouvernement actuel ?
Le président m’a confirmé qu’il va opérer un changement partiel au sein du gouvernement. Il veut rééquilibrer l’action du gouvernement. Il prévoit d’autres changements après les élections législatives.
Dans vos déclarations faites à la télévision après l’audience au Palais d’El Mouradia, vous avez évoqué la lutte contre la bureaucratie et l’encouragement de l’investissement. Qu’en est-il ?
Nous avons eu une discussion assez longue. Je me suis permis de dire au président ce qui se passait dans la réalité, les difficultés qu’il y a, les problèmes de justice et de bureaucratie, la corruption, le fonctionnement de l’économie algérienne, la dévaluation du dinar…c’était un échange à bâtons rompus. Il n’y avait pas d’ordre du jour écrit.
Le président voulait avoir connaissance du sentiment des gens qui sont à l’extérieur du pouvoir, avoir un point de vue de gens qui sont en relation directe avec la population.
A-t-il parlé de décisions sur le plan économique ?
Pour lui, les grandes réformes démarreront après l’élection du nouveau parlement. Il veut que le gouvernement ait toute la légitimité à travers un Parlement élu sans aucune tâche et qu’à ce moment-là, les grandes réformes seront engagées.
Cela n’empêche pas qu’entre-temps, il y ait tout le travail de préparation. Pour lancer les grandes réformes, il faut des pré-requis. Le président travaille là-dessus notamment sur la digitalisation des administrations. Il m’a dit : « je veux que l’économie se libère de l’administration et que les gens qui investissent, travaillent et créent des emplois ne dépendent plus de l’administration ».
Donc, moins d’Etat, moins de pouvoir administratif, moins de contrainte.
[…] Soufiane a évoqué, dans son entretien avec 24H Algérie, une dissolution de toutes les assemblées élus puis un remaniement partiel du […]