Quelle stratégie politique pour un renouveau de l’Algérie ?
L’État-Nation algérien va bientôt entamer sa 60ème année d’existence. La crise politique en cours remet en cause les conceptions de l’État et de la Nation en vigueur depuis l’Indépendance. L’État de droit et la Nation civique se posent en alternatives de l’État autoritaire et de la Nation ethnique. Quelles stratégies politique pensées ou spontanées guident les acteurs de la vie politique nationale ? En prenant en compte les tendances politiques dessinées par l’histoire récente de notre pays, quatre stratégies génériques se dégagent et peuvent couvrir l’ensemble des postures prises par les courants politiques et idéologiques qui traversent la Société algérienne et l’État.
La stratégie politique du statu quo
La stratégie du statu quo est avant tout la stratégie de ceux qui sont aux commandes de l’État et de la grande administration. Elle tient à leur volonté de se maintenir au pouvoir et dans la hiérarchie administrative. Elle tient aussi à leur horizon idéologique borné.
Le nationalisme en peine de perspectives rassurantes, embourbé dans la justification de son règne sans partage depuis l’Indépendance, joue un rôle politique conservateur. Autoritaire de nature, il bloque délibérément la voie vers les libertés. Attaché à l’étatisme, il retarde sans cesse les réformes économiques.
La « nomenklatura» sous sa tutelle craint la perte de pouvoir et des avantages sociaux considérables que lui procure le régime en place. Les tenants de l’idéologie nationaliste en pleine dépression restent agrippés aux facteurs identitaires, les « constantes ». Ils oscillent entre les concessions qu’ils font tantôt aux islamistes, tantôt aux modernistes.
Ils s’appuient sur la crainte des syndromes libyen ou syrien qu’ils ont habilement suscitée chez une partie de la population. Ce qui leur vaut encore une base sociale tiède mais encore utile face au mouvement de la société civile en pleine maturation.
Cette stratégie du statu quo mène au pourrissement. En charge de la gestion de l’économie, cette “nomenklatura” reste prisonnière des illusions souverainistes et entrave les échanges et la coopération internationale. Le pays en attente de transformations structurelles dans tous les domaines court le risque de graves difficultés économiques. Il risque également de graves perturbations politiques imprévisibles. La sortie de cette stratégie du statu quo est vitale pour le pays. Encore faudrait-il que d’autres stratégies ne viennent pas à son secours du fait de leur inconséquence ou de leur aventurisme.
La stratégie de la polarisation
L’idée des « deux sociétés » ou des « deux peuples » a germé lors de la prise de conscience brutale de l’émergence du mouvement islamiste dans les années 80 et 90. La stratégie de la polarisation en est une déduction particulière. Elle substitue les « sociétés antagoniques » aux « classes antagoniques ». Elle est une stratégie de l’affrontement.
Dans la réalité, cette stratégie est implicitement présente dans la posture prise par des cercles démocrates ou modernistes. Elle est portée, peut être malgré eux, par ceux qui veulent extirper toute idéologie islamiste de la vie de la société. Si leur opposition à cette idéologie est logiquement dans l’ordre de leurs convictions, leur aspiration à l’éradication de cette idéologie ignore la profondeur et l’étendue de son implantation.
Elle induit forcément une action autoritaire pour modifier les opinions par l’intervention de l’État et de la législation. Elle ne peut être ressentie par ceux qui ont épousé l’idéologie islamiste dans ses diverses nuances que comme une négation complète de leur existence.
Perçue sous l’angle de la menace sur leurs valeurs culturelles, c’est l’existence même de la société traditionnelle imprégnée des valeurs religieuses qui est menacée. Cet enchaînement semble échapper aux cercles démocrates ou modernistes qui cultivent l’aiguisement de la contradiction avec l’islamisme. Ces cercles prônent les « ruptures avec l’islamisme ».
Ils justifient leur posture par la prétention symétrique des milieux islamistes à vouloir imposer leur hégémonie idéologique à la société. Effectivement, le mouvement islamiste extrémiste qui a conduit au terrorisme et à la guerre civile partage parfaitement cette prétention à l’éradication de la société alternative à leur projet.
Mais cela suffit-il à calquer sa stratégie sur celle de l’extrémisme islamiste ? La stratégie de la polarisation est une stratégie de l’exclusion ou du règne exclusif d’un modèle de société sur toute la population du pays. Elle conduit nécessairement à la violation brutale des libertés fondamentales. Elle conduit à l’étouffement de la personnalité humaine. Elle ne peut que créer les conditions de la guerre civile. Une telle stratégie heurte toute conscience attachée aux valeurs humanistes.
Ce qui doit être le cas de toute conscience démocrate. Cette stratégie partagée par les deux extrêmes modernistes et islamistes alimente la stratégie du statu quo. Elle divise le camp moderniste malgré les professions de foi unitaires. Le nationalisme en dépression qui continue de dominer l’État se place en position d’un faux centrisme pour perpétuer son pouvoir.
La stratégie de la partition
La stratégie de la partition partage les mêmes prémisses que la stratégie de la polarisation : les « deux sociétés » et leur caractère « inconciliable ». Cette stratégie propose la séparation territoriale comme solution à l’existence de deux sociétés indépendantes. Elle évite l’écueil de l’affrontement entre ces deux sociétés et revendique le rejet de la guerre civile et de l’éradication. Elle vise ainsi le développement des deux sociétés selon leur logique respective et sur leur territoire respectif. La stratégie de
la partition s’attaque à un dogme constitutionnalisé, l’intégrité territoriale de l’Algérie. Elle affronte donc une question taboue. D’où la difficulté à entrer dans le débat. L’autre difficulté réside dans la complexité d’une localisation territoriale des « deux sociétés » difficilement intelligible. Cette stratégie n’a pas eu d’écho lors de sa première formulation en janvier 1992 après la victoire électorale du FIS de 1991.
Elle est en quelque sorte mort-née. Mais les développements de la question kabyle au cours de ces vingt dernières années avec son lot de répression et de victimes donnent une nouvelle vie à cette stratégie. La grave crise qui affecte les relations entre l’État central autoritaire et la Kabylie revendicatrice de la reconnaissance de son patrimoine culturel et des valeurs démocratiques en est le catalyseur.
La stratégie de la partition se présente sous la revendication de la séparation de la Région kabyle de l’Algérie. Elle est géographiquement accessible à l’esprit même si l’imbrication des populations et des territoires présente une grande complexité. Elle n’est plus la conclusion à l’affrontement des « deux sociétés ». Elle est l’expression d’un nationalisme ethnique poussé à ses limites extrêmes. Cette idée est certes minoritaire. Elle reste une opinion pacifique. Il est même provocateur et négateur de la liberté d’opinion de la ranger comme « action subversive ».
Elle a été incontestablement encouragée par l’attitude hostile au dialogue des gouvernants. Son expansion dépendra donc de l’évolution de l’État. Il paraît évident qu’une démocratisation et une régionalisation du pays réduira sensiblement les partisans de cette stratégie. La stratégie de la partition ou de la séparation trouve sa justification dans la stratégie du statu quo en vigueur dans l’État. Le blocage de la régionalisation et de la démocratisation de la vie du pays ferme l’horizon des solutions dans le cadre national. Le séparatisme est le produit logique du centralisme autoritaire.
La stratégie de la paix civile
La stratégie de la paix civile peut se revendiquer comme stratégie de la cohabitation. Elle s’inscrit dans le cadre d’une Algérie unitaire, dans la configuration territoriale actuelle de l’Algérie. Elle accepte comme données de base l’existence de plusieurs modes de vie parmi la population algérienne. Elle refuse l’exclusion de toute communauté ethnique ou culturelle ou religieuse composant la population du pays.
Elle considère la diversité des modes de vie, des croyances et des traditions culturelles comme l’aboutissement des choix libres de chaque citoyen. Elle en appelle donc au respect et à la protection de toutes les communautés nées de cette diversité. Cette stratégie vise la coexistence pacifique des citoyens algériens quelle que soit leur idéologie. Elle instaure la paix civile et récuse toutes les formes de violence, de pressions et de menace contre les citoyens.
Elle repose sur un État protecteur des libertés individuelles, un État qui garantit le libre choix individuel des citoyens et leur libre association. Cet État est délesté de toutes les prérogatives qui touchent à la sphère privée de l’individu. La législation sera expurgée de toutes les dispositions qui touchent à la conscience et à l’opinion de l’individu. L’État est soustrait aux risques d’instrumentalisation contre toute communauté.
La stratégie de la cohabitation est progressive et consensuelle. Elle prend en compte l’état actuel de la société algérienne et repose sur l’évolution volontaire des citoyens stimulés par la concurrence pacifique des modes de vie et leurs valeurs d’exemple.
Le monopole de l’État sur l’économie, l’éducation, la culture et les prestations sociales devra laisser progressivement la place à la concurrence avec les institutions privées. Les libres choix des citoyens sur la base de leurs intérêts bien compris sanctionneront cette compétition.
L’abandon progressif de ce monopole induira une réduction du gaspillage des ressources. Il ôtera la possibilité d’utiliser l’État à des fins idéologiques partisanes. La politique sociale servira les plus démunis et ne monnayera plus le parasitisme et l’électoralisme. Cette stratégie repose sur l’autonomie et la responsabilité de l’individu.
Elle nécessite l’instauration d’un climat serein de dialogue entre tous les courants politiques et idéologiques pour aboutir à ce processus de préservation de la paix civile. L’adhésion de tous ces courants politiques à un pacte pour les libertés individuelles et la coexistence pacifique de tous les Algériennes et Algériens constituera un puissant soutien à l’État de droit.
Ce processus qui n’exclut pas les échanges critiques s’appuie dans l’immédiat sur la primauté de la tolérance et du dialogue sur l’invective et l’anathème.
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