Une organisation patronale, le Conseil du Renouveau de l’Économie Algérienne (CREA) vient d’être créée. C’est la énième organisation patronale qui voit le jour. Elle ressemble dans sa composition au Forum des Chefs d’Entreprise (FCE) fortement discrédité par son soutien au pouvoir précédent.
Elle comprend les « patrons de très grandes entreprises publiques comme Sonatrach, Saidal, Mobilis, SAA et BEA » et « de nombreux dirigeants de sociétés privées (Alliance assurances, Vénus, Faderco, General Emballage…) ».
C’est donc un regroupement de hauts fonctionnaires désignés par l’Etat et de chefs d’entreprises privées. Cette cohabitation n’est pas forcément antinomique. L’orientation de cette nouvelle organisation le montre. “Complémentarité, mutualisation des compétences et des ressources, patriotisme économique sont les fils conducteurs de notre organisation”, a affirmé son président.
Autrement dit, cette orientation relève d’abord du choix d’une politique économique. Elle n’est pas celle d’un syndicat patronal ouvert à tous les entrepreneurs privés. Le président du CREA nouvellement élu répond d’avance à l’accusation d’émiettement du patronat : « Nous n’avons pas de divergences avec nos amis des autres organisations patronales car notre ambition est commune et répond au seul intérêt général du pays” ».
Or c’est justement la définition de « l’intérêt général » qui est la source du pluralisme politique. En s’associant de préférence avec leurs « collègues » de l’Etat, les patrons privés du CREA ont fait le choix de concilier leurs intérêts avec la politique économique du pouvoir. Les promesses d’ouverture plus grande vers l’économie de marché y sont pour quelque chose.
Leur adhésion au « patriotisme économique » révèle leur volonté de bénéficier de la protection de l’Etat contre la concurrence étrangère. La résonnance nationaliste aidant, ce protectionnisme affiché constitue la revendication d’une rente. Cette rente sera d’abord payée par les millions de consommateurs algériens qui vont devoir acheter plus cher les produits importés de qualité. Comme le protectionnisme ne peut pas être général, c’est-à-dire appliqué à la totalité des industries, les patrons du CREA s’inscrivent donc au premier rang de cette protection au détriment de leurs autres collègues du privé.
Le président du tout nouveau CREA a manifesté son intérêt pour « l’élaboration des textes d’application » des « réformes à mener ». L’expérience du FCE a indiqué en grand le deal entre le précédent pouvoir et les affairistes de connivence : Soutenez notre pouvoir, nous vous garantissons l’enrichissement. On peut s’attendre à ce que le nouveau deal soit débarrassé des marques de la corruption et du népotisme.
Mais la tendance naturelle des entrepreneurs à la protection de leurs positions dominantes par des barrières à l’entrée à de nouveaux concurrents peut trouver place. L’arbitrage politique, appelé régulation, qu’exerce l’Etat n’est jamais neutre. Seule la libre concurrence de l’économie de marché est susceptible de limiter le favoritisme par la soumission des entrepreneurs aux besoins des consommateurs.
Leur survie dépend du « référendum quotidien » des consommateurs qui se prononcent sur la qualité et les prix de leurs productions et prestations. Les jugements de valeurs des millions de consommateurs constituent, à ne pas en douter, une base de sélection bien plus légitime que celle de quelques fonctionnaires ou politiques logés dans les administrations et les cabinets gouvernementaux. Il n’est pas exclu que des entrepreneurs privés aient pris le parti de s’associer au pouvoir pour, estiment-ils, faire prévaloir efficacement les revendications des patrons privés algériens.
Ce serait alors une question de choix de stratégie qui fonderait la division des entrepreneurs privés éparpillés dans diverses organisations. C’est possible. Il est malheureusement à craindre que cette division illustre plus les attaches d’une partie des entrepreneurs privés à l’économie d’Etat. Les administrations et les entreprises publiques comme Sonatrach garantissent des contrats juteux.
Des entrepreneurs privés deviennent ainsi éligibles à une distribution favorisée de la rente pétrolière. Cela n’exclut pas des affinités idéologiques avec le nationalisme économique prôné par le pouvoir. Dans tous les cas, la politisation des organisations patronales, en faveur du pouvoir ou de l’opposition, ne fonde pas un syndicat patronal unitaire ouvert à tous les entrepreneurs privés. L’adhésion commandée de responsables d’entreprises publiques n’est pas de nature à favoriser un tel dessein.
Même s’ils peuvent partager des idéologies, les entrepreneurs privés et les dirigeants d’entreprises d’Etat ont des intérêts distincts. Les premiers investissent leurs capitaux et dépendent de leurs capacités à répondre aux choix des consommateurs. Les seconds, quelque soit leur niveau de compétence, gèrent des biens qui ne leur appartiennent pas et leur carrière dépend souvent de leur allégeance aux autorités politiques. Leurs présences au sein d’une même organisation ne préjugent nullement d’un rôle conforme aux intérêts de l’ensemble des entrepreneurs privés.
Le gouvernement semble privilégier une organisation patronale favorable à sa politique économique. Si ses objectifs coïncident pour le moment à une ouverture de l’économie aux lois de l’économie de libre concurrence et donc à l’investissement privé, cette organisation peut jouer un rôle positif. Mais, d’une part, cette organisation dépend de l’orientation gouvernementale qui peut changer. D’autre part, elle comporte, par sa représentation partielle des entrepreneurs privés, des risques sérieux de corporatisme, c’est-à-dire de défense d’intérêts étroits, d’intérêts de groupes d’entrepreneurs.
Une bonne conception du « seul intérêt général du pays » que préconise le président du CREA commande la constitution d’une unique grande organisation patronale sans liens politiques et sans parti-pris idéologiques. Une organisation vouée aux seuls intérêts des investisseurs et entrepreneurs privés. L’objectif premier de cette organisation est de défendre la propriété privée et la liberté d’investir, revendications communes à tous les entrepreneurs. Cette revendication correspond également à une politique de libération de l’investissement de toutes les entraves législatives et administratives.
C’est en quelque sorte à une défense égoïste de leurs intérêts qu’une organisation patronale unique sans allégeance politique ou idéologique doit s’atteler. Les consommateurs algériens y trouveront leurs comptes. Ils garderont à l’esprit ces mots d’Adam Smith, un des fondateurs de la science économique moderne : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme. »