Pas de pomme pour logo mais une tomate. N’empêche qu’en seulement huit ans la société jordanienne Tamatem a déjà croqué une bonne part de marché dans le secteur lucratif des jeux, en arabe, sur smartphone.
« Il y a 400 millions d’utilisateurs arabes de téléphones portables, et pourtant moins de 1% du contenu sur internet est en arabe », observe Hussam Hammo, fondateur et directeur de Tamatem.
« Il existe ainsi un grand vide sur le marché qu’on tente de combler », ajoute l’entrepreneur de 38 ans, dans son bureau d’Amman.
Fondée en 2013, Tamatem — tomate en arabe — a été la première entreprise arabe à obtenir des investissements de la part du programme « 500 Startups » basé dans la Silicon Valley, en Californie.
Depuis, la compagnie s’est étoffée pour atteindre environ 80 salariés qui traduisent en arabe des jeux sur téléphone portable et adaptent aussi leur contenu à la culture de la région.
« La langue était une barrière à la croissance des jeux sur smartphone » au Moyen-Orient, explique Nour Khrais, fondateur et directeur de Maysalward, un développeur de jeux.
« Lien émotionnel »
« La langue arabe procure un lien émotionnel » avec le joueur, selon lui.
Avec des bureaux à Amman mais aussi aux Emirats arabes unis et en Arabie saoudite, Tamatem a sorti plus de 50 jeux qui ont été téléchargés plus de 100 millions de fois.
« 70% des utilisateurs de smartphone dans le monde arabe ont paramétré leur téléphone en arabe ce qui veut dire qu’ils aiment utiliser du contenu dans leur langue maternelle », constate M. Hammo.
« Vous trouvez des millions de jeux en anglais dans des app stores (boutique d’applications, NDLR), mais si vous en cherchez en arabe, vous n’en aurez que quelques milliers », ajoute-t-il.
La concurrence est rude, M. Khrais expliquant que le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord constituent « les régions avec la plus grande croissance en matière de jeux électroniques ».
La société Mordor Intelligence, analyste marketing, a évalué le marché du jeu électronique international en 2020 à 174 milliards de dollars (environ 150 milliards d’euros), l’estimant à 314 milliards en 2026 (environ 270 milliards d’euros).
Tamatem — notamment en relation avec des compagnies américaines, chinoises, françaises, sud-coréenne — convertit les jeux en remplaçant les voix et les noms des personnages, en adaptant la musique et l’habillement ou en changeant même les plaques d’immatriculation des voitures.
« On ne fait pas seulement de la traduction, on (…) rend le contenu pertinent pour la culture arabe », indique le chef d’exploitation de Tamatem, Eyad Al Basheer.
« Hollywood Story » de Nanobit.com, dans lequel les joueurs peuvent se prendre pour des stars de cinéma, marcher sur le tapis rouge ou côtoyer des fans, a été rebaptisé « Malekat al Moda », soit la « Reine de la mode » en arabe. Et à la place de New York ou Los Angeles, les avatars voyagent entre Dubaï, Beyrouth ou Le Caire. Le jeu en arabe a été déjà téléchargé plus de 15 millions de fois.
Le jeu « Clash of Empire » de Leme Games a aussi lancé cette année sa version arabe « Tahadi Al-Molouk ».
Pour se conformer au public local, la figure du célèbre roi Richard Coeur de Lion y a été remplacée par le guerrier et chef arabe, Salah al-Din al-Ayoubi.
« Quatrième révolution »
L’un des plus grands succès de Tamatem est « Shake the Metal » où le joueur fait des courses automobiles en faisant déraper sa voiture. Mettant en scène des modèles de voitures prisés dans le monde arabe, il a été téléchargé cinq millions de fois.
Le jeu le plus populaire reste cependant « VIP Belote », basé sur le jeu de carte français du même nom, téléchargé plus de 20 millions de fois.
Dans un rapport de 2019 du Forum économique mondial, Tamatem a été distingué comme l’une des 100 meilleures compagnies arabes façonnant « la quatrième révolution industrielle ».
Et la pandémie de Covid-19 a cette fois constitué une véritable aubaine, avec le nombre de joueurs sur smartphones augmentant de 150%, selon M. Hammo.
« Tamatem a rendu les jeux plus simples » et compréhensibles pour les joueurs arabophones, témoigne le gamer Khader Hamid, un ingénieur de 28 ans.
Mona Rummaneh, qui travaille dans le e-marketing, est-elle aussi séduite car « confiante dans le fait que le contenu est approprié à la culture et à la morale » de la région.