Au Théâtre régional Kateb Yacine de Tizi Ouzou, le metteur en scène Haider Benhassine, nouvellement désigné directeur du Théâtre régional de Béjaia, a tenté une nouvelle expérience en montant le spectacle « Tanigawt » (La transaction).
La pièce, adaptée à partir d’un texte de Mahi Ben Amara, est en compétition au 14ème Festival national du théâtre professionnel (FNTP) qui se déroule jusqu’au 21 mars 2021 au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi (TNA) à Alger. Haider Benhassine s’est entouré de huit comédiens pour créer un spectacle qui se rapproche du théâtre expérimental à partir d’un texte ordinaire.
Ramzi Achour, Dalila Azarouil, Yazid Keroui, Soraya N’Ait Abderrahmane, Ahmed Makhlouf, Fellag Malek, Adel Ouahab et Younes Hammoum campent les personnages d’artistes. Des artistes qui se retrouvent dans un espace, un hawch, menacé de reprise par un homme fortuné. Certains entendent résister alors que d’autres sont tentés par l’argent et acceptent la vente. Le conflit s’installe.
Vulnérabilité de l’artiste
Haider Benhassine a choisi la technique du théâtre dans le théâtre sans séparer entre le plateau de jeu et l’arrière-scène. Une manière de poser la question sur la frontière entre personnages et comédiens ou, à l’inverse, comédiens et personnages. Le spectacle, qui souffre d’une certaine lenteur du rythme, pousse à la réflexion sur le statut de l’artiste lui même, sur sa vulnérabilité et sur les pressions qu’il peut subir.
L’œuvre, qui parait fragmentée, trouve son unicité dans l’idée que le metteur en scène entend véhiculer en suggérant que le théâtre peut être lui aussi un personnage. Il s’agit vaguement d’une obsession artistique du théâtre contemporain qui entend poser des interrogations sur le sixième art lui même et sur sa place dans un monde pris dans les tourbillons de la vitesse.
Du théâtre-école
« Il s’agit d’un travail pédagogique. Nous avons encadré les comédiens en utilisant certaines techniques. Il ne s’agissait pas d’offrir un spetacle mais de voir également les comédiens évoluer sur scène », a expliqué Fariza Chemakh, lors du débat qui a suivi le spectacle. Haider Benhassine a, pour la première fois, opté pour le suivi critique du montage de la pièce en sollicitant Fariza Chemakh et pour la désignation d’une stagiaire pour l’assistance à la mise en scène, Nora Bedrici. Le metteur en scène fait donc dans le théâtre-école dont le principe se base sur la formation-production.
Pour la première fois sur scène
« La plupart des comédiens jouent pour la première fois dans une pièce professionnelle. A chaque étape, nous discutions des techniques utilisées dans le montage de la pièce, du travail du metteur en scène, du chorégraphe et du concepteur de musique. A chaque fois, nous faisions des correctifs et introduisions des améliorations », a détaillé Fariza Chemakh. Elle a souhaité que le suivi critique soit présent dans la conception dans tous les spectacles de théâtre. Haider Benhassine n’a pas pu assister aux débats, ce qui a été regretté par les présents.
« En attendant Godot », autrement vu
Halim Zedam de la troupe Numidia de Bordj Bou Arreredj (BBA) a choisi l’un des textes les plus controversés du théâtre moderne, « En attendant Godot » de l’irlandais Samuel Beckett pour l’adapter dans une pièce où l’esprit de l’absurde n’est pas loin, « Netsenaw fel…hit » (nous attendons le mur). L’attente n’est-elle pas une maladie contemporaine ? « L’attente, c’est le quotidien de l’algérien aujourd’hui.
Il attend beaucoup de choses. Vous et moi, attendons aussi », résume Halim Zedam. Vladmir, Estragon, Lucky et Pozzo, les quatre personnages de l’oeuvre de Beckett, sont bien présents sur scène. Halim Zedam a, dans sa réecriture libre, ajouté trois autres personnages, drôles, qui ne cessent de tourner en rond, piégés par leurs contradictions symbolisé par une corde et qui ne s’entendent sur rien y compris sur le sens du vent.
Le monde à l’envers
Le metteur en scène s’est inspiré des trois personnages drôles Namur, Mitaro et Toso, de la célèbre pièce du dramaturge espagnol Fernando Arrabal, « Fando et Lis », publiée en 1958, dix ans après la pièce de Samuel Beckett. Arabal était d’ailleurs influencé par Beckett et par Artaud. Ce dernier a écrit les fondements du théâtre de la cruauté.
La scénographie de « Netsenaw fel hit » est basée sur un arbre renversé, au lieu des feuillages, le spectateur voit des racines. Le monde à l’envers ! Et Lucky, représenté sous la forme d’un clown désarticulé, subit la domination de Pozzo, un maître perdu, ne sachant plus quel chemin suivre. Vladimir et Estragon, deux vagabonds perdus en campagne en plein nuit, ne savent plus s’ils doivent continuer de marcher ou attendre celui qui devra venir. Mais qui ? Quand? Ils s’interrogent aussi sur le sens de l’existence…
Situations absurdes
Les situations sont absurdes, parfois burlesques, accompagnées de musique de cirque. Le rapport avec le présent politique de l’Algérie est vite établi. Tout est dans la gestuelle, les paroles et les postures des comédiens. La pièce de Halim Zedam a été suivi par un long débat avec le public, les critiques et les étudiants de l’Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l’audiovisuel (ISMAS) de Bordj El Kiffan (Alger). Comme Haider Benhassine, Halim Zedam a formé un groupe de comédiens pour monter le spectacle « Netsenaw fel…hit ».
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