Théâtre: la pièce tunisienne « Le royaume de l’amour » décortique l’ivresse du pouvoir

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Théâtre: la pièce tunisienne "Le royaume de l'amour" décortique l'ivresse du pouvoir
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Le metteur en scène tunisien Lotfi Akermi est remonté à la chute de Grenade en 1492 pour évoquer des situations qui peuvent ressembler au monde d’aujourd’hui. Un monde où les tambours de la guerre ont plus d’échos que les chants de la paix.


« Mamlakatou el ichq » (le royaume de l’amour) est en compétition aux premières Journées du théâtre arabe qui se déroulent à Sétif. Elle a été présentée lundi 20 février à la Maison de la culture Houari Boumediène de Sétif.


La pièce, une fantaisie historique du théâtre classique, revient sur les conditions de la chute de Grenade et la capitulation du roi Abou Abdallah Mohamed Al Saghir devant la reine Isabelle de Castille (Kaouther Belhaj) et son allié le roi Ferdinand d’Aragon (Wahid Megdiche).
La mère d’Abou Abdallah se livre à un discours violent sur l’état du royaume, les injustices, le gaspillage, l’oppression et l’absence de rationnalité. « Vous avez appauvri votre peuple pour que vous deveniez riches. Vous avez construit vos palais avec leur argent pour qu’ils soient habités par les pigeons et les hiboux », crie-t-elle.


Tragédie historique

Des éléments qui ont, d’après elle, accéléré la chute de Grenade, après des mois de siège des rois catholiques. Grenade avait été soumise à la famine après la destruction des champs agricoles. La mère d’Abou Abdallah s’est dite abattue devant la faiblesse de son fils qui avait livré la ville sans grande résistance, mettant fin à des siècles de présence et de civilisation musulmanes en Ibérie. L’effondrement d’El Andalus était un drame précédé par des divisions.  


La civilisation andalouse s’est affaiblie, à partir de de la création des Taifa (ملوك الطوائف ),  après la fin  du Califat de Cordoue en 1031.
Arrivés en conquérants, Isabelle de Castille et le  Ferdinand d’Aragon imposent leur règles au palais, font la chasse aux musulmans, aux juifs et aux protestants, lancent l’inquisition, massacrent. Leur revanche est historiquement sanguinaire et impitoyable.

 
Sur fond de cette tragédie historique, une histoire d’amour se déroule sous les arbres du palais entre la princesse Térésa (Samah Al Sankri), fille d’Isabelle, et le jardinier et chanteur mauresque Yahia El Moriski (Mohamed Djebali). « Je vais éparpiller les roses sur les vagues de la mer », chante avec candeur Yahia devant Térésa.


Une mise en scène épurée

L’idylle s’asmile à une trahison pour Isabelle la Catholique qui avait fait de sa religion un instrument de haine y compris contre sa propre famille. Quand la mère devient le symbole de la tyrannie, toutes les valeurs s’effondrent et l’amour n’y peut rien. Le prince Franco (Lyes El Abidi) se perd dans la boisson et les jouissances de la vie. Il n’a aucune envie de devenir roi. Le pouvoir a aussi un côté repoussant.


« Mamlakatou el ichq », qui rassemble des grands noms du théâtre tunisien,  se distingue par une mise en scène épurée qui réhabilite l’expression classique. Le jeu des comédiens est rigoureux et les dialogues bien écrits avec des répliques pointues. La scénographie met en valeur le fauteuil royale  pour souligner l’idée du pouvoir qui, parfois, peut être chancelant, incertain, violent, instable.


Les chants et la musique rajoutent des touches de douceur au récit tragique. Le fond vert, matérialisé par une image projetée sur écran d’une forêt, permet au spectateur de respirer quelque peu. Les lumières variant du bleu au rouge intensifient l’atmosphère par nuance.  
Muni de son oud, Mohamed Djebali, l’un des rares à avoir rempli le théâtre romain de Carthage pour ses concerts, a complété la narration par des chants exprimant autant l’amour que la tristesse et la douleur.  


« L’amour est souvent désarmé »

Lotfi Akermi, qui s’est appuyé sur un texte dense de Riad Smaali, a « livré » le spectacle aux comédiens, mettant de côté beaucoup d’aspects esthétiques qui auraient pu desservir sa conception scénique. Le fond s’est imposé à la forme.
La pièce, qui évoque le pouvoir et ses travers, peut être interpretée comme une critique douloureuse de ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie ou ailleurs. Face à la terreur et la démence, l’amour est souvent désarmé, affaibli. Le monde d’aujourd’hui, avec la domination de l’esprit belliqueux, de l’agressivité diplomatique et de l’aveuglement nationaliste, ne laisse presque plus de place pour l’amour, la paix et la tolérance. Les humains n’ont pas beaucoup changé plus de six siècles après la chute de Grenade !

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