« Memory Keltoum », le nouveau spectacle de Tounes Aït Ali est un hommage à la comédienne Keltoum.
Présenté, mardi 6 avril, au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi (TNA), à Alger, la pièce est une production de la coopérative artistique Port Saïd.
C’est une adaptation de Djamila Mustapha Zegaï d’après le texte « Ma double vie, mémoires de Sarah Bernhardt », actrice française surnommée « l’impératrice du théâtre ». Nounou (Mohamed Chabane) est au service d’une ancienne comédienne Keltoum (Yousra Daikha). Elle n’aime pas la lumière, préfère se protéger ou se cacher du soleil par un parapluie, déchire tous les courriers qu’elle reçoit, refuse les invitations et les hommages. Elle est, à la fin de sa vie, amère, déçue et en colère.
Elle se rappelle de ses débuts au théâtre, l’opposition de sa mère craignant le « qu’en dira-t-on ». Elle se souvient de sa jeunesse sur scène, de l’appui de Mahieddine Bachtarzi, du soir niçois où elle danse devant 20.000 personnes, des tournées théâtrales, de la dépression nerveuse (en 1951) et d’autres choses encore…
Une grande souffrance
Elle se rappelle aussi des critiques de la bienpensance sociale et les tabous. Native de Blida, Keltoum (Aicha Adjouri de son vrai nom), est la première femme à monter sur scène en Algérie, durant les années 1930.
Dans la pièce de « Tounes Aït Ali », la comédienne, qui prend à plusieurs reprises de la cherbat parfumée à la menthe, vit sa mise à la retraite comme une grande souffrance, critique l’ingratitude des autres et la non reconnaissance des siens. « Koulchi kdeb fi kdeb (tout est mensonge) « , crie-t-elle. Elle refuse que Nounou écrive sa biographie, laisse une trace sur sa gloire éteinte malgré elle.
Mise à l’écart par le TNA, au début des années 1980, Keltoum n’a été rappelée qu’en 1987 pour interpréter un rôle dans la pièce « Mort d’un commis voyageur » de Fawzia Aït El Hadj. Keltoum n’a pas apprécié sa mise à la retraite. Son dernier rôle au théâtre remonte à 1991 dans la pièce « El Bouaboune » (les concierges) de Rouiched. Et, pour le cinéma, elle été distribuée pour la dernière fois dans le film de Mahmoud Zemmouri, « Les folles années du twist », en 1986. Pendant vingt ans, Keltoum a vécu en reclus chez elle, refusant les hommages et les demandes d’interview jusqu’à sa mort en novembre 2010. «
Keltoum a pris sa mise à la retraite « comme une insulte »
« Keltoum a porté l’amertume tout le reste de sa vie. Elle ne voulait plus qu’on la regarde ou qu’on la reconnaisse. Elle a pris sa mise à la retraite comme une insulte. Elle a sillonné le monde en portant le drapeau algérien et, à la fin, on l’a mis à la retraite. Je n’ai pas voulu faire sa biographie sur scène, mais montrer les aspects humains. Keltoum attendait une fin meilleure que cela », a souligné Tounes Aït Ali.
Et d’ajouter : « Keltoum a eu beaucoup de courage à l’époque. Elle a sacrifié sa famille, s’est sacrifiée en tant que personne. J’ai préféré évoqué la déception que les moments heureux ». La chanson en style rumba « Alger Alger » de Lili Boniche accompagne parfois les tableaux de « Keltoum Memory ». « Mon père écoutait Lili Boniche. Ses chants expriment pour moi toute l’énergie de l’Algérie indépendante », a expliqué la metteure en scène. Elle a également choisi un chant de Matoub Lounes à la fin du spectacle : « J’adore cet artiste engagé, qui s’exprime et dit son désaccord. C’est un artiste qui a défendu l’Algérie et la jeunesse algérienne ».
Tounes Aït Ali, « Des personnes tentent de nous casser »
« Le théâtre algérien a toujours été connu pour ses idées et pour son engagement. Malgré toutes les difficultés, l’artiste algérien existe toujours. D’autres personnes tentent de nous casser et de nous rabaisser », a-t-elle protesté.
Tounes Aït Ali a critiqué l’attitude de Djamila Mustapha Zegaï, directrice centrale au ministère de la Culture et des Arts, qui a décidé, le samedi 27 mars 2021, de faire baisser les rideaux au moment où les deux comédiens de « Memory Keltoum » étaient déjà sur scène. Cela a provoqué une polémique.
« Elle attendait l’arrivée de la ministre de la Culture pour assister au spectacle.
Donc, elle a décidé de l’arrêter. Or, la ministre n’a jamais ordonné cela. Elle a devancé le directeur du TNA, le régisseur général, le producteur et les comédiens. J’ai demandé qu’elle vienne pour présenter des excuses. Elle n’est pas venue. Nous avons assuré le spectacle par respect au public », a soutenu la metteure en scène. Elle se dit offusquée : « On ne peut pas faire cela à des comédiens. Je salue la sagesse qu’ils ont eue pour rejouer le spectacle après le baisser de rideaux ».
« Je ne cherche pas à avoir un appartement »
Tounes Aït Ali a appelé les artistes à militer pour changer leur situation actuelle. « Rien ne peut changer sans cela. Je ne sais pour les autres artistes, mais moi je ne cherche pas à avoir un appartement ou de l’argent. Je ne cherche pas un statut. Je revendique un statut d’artiste, des lois qui peuvent me protéger. Le statut est primordial. Arrêtons de parler d’entreprises, de start’up et d’économie de la culture. On ne peut rien développer si nous n’avons pas un encadrement, un statut. Un statut est une reconnaissance pour l’artiste qui consacre toute sa vie aux planches, au cinéma ou aux arts plastiques », a-t-elle déclaré.
Durant le prochain Ramadhan, Tounes Aït Ali sera distribué dans deux productions de télévision. « Lyam » (les jours), un feuilleton de Nassim Boumaiza, et « Ayla presque hayla », un sitcom de Hocine Meziane.
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