Le réalisateur algérien Malek Bensmail continue de nourrir sa terre d’images en opérant, cette fois-ci, un retour sur près de trois décennies de politique étrangère de l’Algérie. Un nouveau témoignage du documentariste sur ce qui a fait la diplomatie algérienne sur une période qui n’est forcément pas la plus glorieuse de son histoire.
C’est une diplomatie défensive, pas forcément marquée par sa visibilité, loin de sa période héroïque des diplomates de la révolution – Hocine Aït Ahmed, M’hamed Yazid ont fait sensation à Bandoeng-, ni de la diplomatie des années 70 où dans un monde travaillé par la guerre froide, elle défendra un non-alignement militant.
Les décennies traitées par le documentaire correspondent également – et logiquement – à celle de l’affaiblissement qui ne fera que s’accentuer, de l’adhésion des citoyens au système politique en place. C’est de là que démarre le film, à partir d’un constat : celui d’un pays replié sur lui-même, subissant le poids des enjeux géostratégiques ; mais avec un peuple « vivant », ainsi que le montre, images de révolte à l’appui, le Hirak qui a contraint, feu Abdelaziz Bouteflika à renoncer à la folie d’un cinquième mandat.
Scanner la diplomatie algérienne sur ces trois dernières décennies, c’est aussi constater, une fois de plus, le jeu trouble de l’Occident et ses retournements au gré de ses intérêts. La démocratie, souvent invoquée, n’a jamais été le souci des partenaires du pays, seul « la stabilité» et le business importent.
Pour parler de tout cela, Malek Bensmail a planté sa caméra face à des diplomates, des conseillers et même deux anciens chefs d’Etat. Algériens comme occidentaux qui ont accepté de parler du plus grand pays d’Afrique, tel qu’ils l’ont perçu. Lakhdar Brahimi, Abdelaziz Rahabi, Abdelkader Tafar, Abdallah Baali, Sid Ahmed Ghozali et le général à la retraite Abderrazak Maiza rendent compte des années 90.
Ils se disent toujours convaincus que tout a été fait pour « sauver la République ». «On a survécu», lâche dans un souffle hésitant le diplomate Lakhdar Brahimi. Abdelkader Tafer, conseiller à la présidence de la république de 1994 à 2004 affirme, lui, que « le corps diplomatique a tenu et l’armée a tenu, et je pense qu’avec le soutien populaire, c’est ce qui a sauvé la République à l’époque ». Le général Maiza parle, de son côté de l’embargo sur les armes subi par l’armée algérienne et cette obligation de recourir à des « fournisseurs » au lieu de s’adresser à des Etats pour s’en procurer.
« L’Algérie n’a pas disparue » et affirme Lakhdar Brahimi, pour parler de l’Algérie d’après 1999, le retour de Bouteflika « le grand ministre des Affaires étrangères qu’il n’a jamais cessé d’être », a permis un retour rapide de l’Algérie sur la scène internationale.
Ce «monstre de la diplomatie» n’a pas cessé d’être le ministre des affaires étrangères et en même temps a voulu régner en maitre absolu des lieux. L’épisode du retour aux affaires est relaté par le général à la retraite Maïza qui raconte les oppositions à ce recours au sein de l’institution militaire et cite nommément ceux qui ont imposé l’option Abdelaziz Bouteflika.
Bouteflika aura-t-il redonné sa place à l’Algérie ? D’emblée, il dirige de main de fer la diplomatie tout en imposant une loi de concorde civile faisant fi des douleurs accumulées et qui ne permet de ne tirer aucun enseignement sérieux du traumatisme. Un cas unique, s’accordent à dire Abdelaziz Rahabi et le général Maïza qui se disent convaincus que « seule la justice pouvait réconcilier » victimes et bourreaux.
Robert Malley, le conseiller de Bill Clinton et de Barack Obama, Christopher Ross, l’ancien envoyé spécial de l’ONU pour le Sahara occidental, François Hollande, l’ancien président français, Robert S. Ford, l’ambassadeur américains en Algérie entre 2006 et 2008, l’ancien chef d’état tunisien Moncef Marzouki et Xavier Driencourt apportent leurs témoignages sur ce qu’a été le rôle de l’Algérie notamment après le 11 septembre. La lutte contre le terrorisme va, de nouveau, replacer l’Algérie sur la scène internationale.
Abdallah Baali, représentant de l’Algérie, alors, à l’ONU monte sur la tribune pour disserter sur un sujet qu’il ne connait que trop bien. Son exposé sur le terrorisme, ses causes, ses bailleurs de fonds, son mode d’emploi fera date. Il sera suivi de la fameuse résolution 1373 de 2001 qui criminalise le terrorisme et imposera des sanctions à ses groupes notamment Al Qaida.
Ce film de Malek Bensmail est un document qui contribue à l’écriture de l’histoire du pays à travers les témoignages et analyses faits par les acteurs de cette histoire débarrassés du poids de l’obligation de réserves. Les interlocuteurs algériens parlent librement dans ce documentaire avec une spontanéité peu habituelle à ce niveau des responsabilités. L’Algérie n’a pas fini de se replacer sur l’échiquier mondial que Bouteflika tombe malade et devient peu visible alors même que c’est l’ère d’une nouvelle diplomatie moderne incarnée par les chefs d’Etats. Une situation qui isole à nouveau le pays et lui fait subir des affronts.
Les centaines de milliers d’Algériens descendus dans la rue le 22 février 2019 pour s’opposer au cinquième mandat que l’on voulait leur imposer rappelle cette idée phare de Frantz Fanon :« Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ».
Bouteflika, estime Rahabi, avait fait le choix d’être « un autre Mugabe » au lieu de suivre le « destin de Mandela ». La naissance des peuples de citoyens dans le monde arabe, comme le souligne l’ancien chef de l’Etat tunisien Moncef Marzouki, est le seul garant de la force des nations.
Les institutions fortes ne le sont que par un peuple citoyen et une démocratie avec des valeurs de justice et de liberté. Le poème déclamé par Mohamed Tadjadit à la fin du documentaire est une énième mise en garde. Le peuple finira, tôt, au tard par reprendre ce qui lui est dû.
Co-produit par l’INA (Institut nationale de l’audiovisuel) français et la chaine franco-allemande Arte, « Toute l’Algérie du monde », le documentaire de Malek Bensmail est co-écrit avec le journaliste Akram Belkaïd. Il sera diffusé mardi 28 septembre à 22h30 sur la chaine franco-allemande Arte. Il sera également diffusé par TV5 monde France 3 et Al Jazeera (en langue arabe) cet automne.