Sur le boulevard Jean Talon à Montréal, cafés maures, restaurants, salons de coiffures et mosquées accueillent quotidiennement des dizaines d’Algériens parmi tant d’autres maghrébins. De toute l’Amérique du nord, c’est le premier quartier qui consacre la communauté d’Afrique du nord. Il a été baptisé en 2009 « petit Maghreb », en signe de reconnaissance de la communauté. Une reconnaissance qui ne tarde pas à être ternie par la loi 21.
Un gobelet de café à la main, confortablement assis sur une chaise disposée à l’extérieur du café maure, distanciation sociale oblige, Mourad a accepté de parler des conditions de vie des Algériens de Montréal : « Depuis l’adoption de la loi 21, tout a changé pour notre communauté (maghrébine NDLA) ». Arrivé d’Algérie il y a vingt-cinq-ans, Mourad a créé sa propre boulangerie qui se porte toujours bien! Il se souvient comment la représentation des maghrébins était différente : « On avait l’image de gens bosseurs, tranquilles et surtout discrets », lance-t-il sur un ton plein d’amertume.
Il aura fallu l’adoption, le 16 juin 2019, de la loi sur la laïcité de l’État par l’assemblée nationale du Québec pour que tout bascule pour certains montréalais d’origine algérienne. Cette loi qui interdit le port de signes religieux pour les employés de l’État et le personnel enseignant du réseau public a mis à mal le vivre ensemble d’une société de grandes migrations. Les enseignantes d’origines algériennes portant le voile se sentent visées comme le reste de leurs coreligionnaires. En tout cas c’est le sentiment de Nadira rencontrée au parc du quartier à grande concentration algérienne, Saint Léonard. « Nous avons été sacrifiées (les musulmans NDLR) pour taire les groupes identitaires extrémistes. Je considère que cette loi est sexiste car elle pénalise les femmes dans un Québec fier de montrer au monde son respect pour les droits des femmes ». Un avis partagé par beaucoup d’Algériens mais pas tous!
Quand la culture d’origine devient un handicap!
Avec la fonte des neiges et le beau temps qui s’installe, se croiser dans ces lieux publics devient une opportunité pour échanger autour des nouvelles de la communauté en ayant un regard résolument tourné vers l’actualité au pays. Alors que le déconfinement n’est pas encore décrété, ils déterrent leurs infortunes dans une société d’accueil, qu’ils rêvent accueillante.
Si les algériens interrogés s’accordent pour dire qu’il fait bon vivre au Québec, il n’en demeure pas moins qu’ils voient d’un mauvais œil la direction de protection de la jeunesse DPJ. Habitués à être les maîtres de leurs enfants, ils peinent à accepter l’ingérence de ce service dans leur vie de famille : « Nous sommes d’accord pour que l’État veille au bien êtres des enfants, mais personnellement je trouve qu’il y a beaucoup de zèle! Il y a des parents sans histoires qui se sont retrouvés confrontés à des situations extrêmes, parce que leurs enfants ont raconté des bobards aux services sociaux », raconte Samira.
Depuis quelques jours, circulent sur les réseaux sociaux, notamment facebook des vidéos d’un parent d’origine algérienne qui s’est vu enlever ses trois filles, placées par ce service dans une famille d’accueil. D’ailleurs, une manifestation de soutien à ce papa désespéré a été organisée le 8 juin dernier par quelques personnes. « Les gens compatissent de loin, sur facebook, sans s’afficher publiquement. Ils ont peur de s’engager », nous dit Fatima.
Diaspora? Parlons-en!
Mohamed, qui affirme observer l’évolution de l’immigration algérienne à Montréal depuis vingt-cinq ans, pointe les obstacles internes à la communauté : « Nous ne sommes pas dans une logique diasporique! Notre élite qui occupe des postes importants dans tous les secteurs est coupée du reste de la communauté. Ceux qui ont compris que l’intégration se fait par le travail se débattent et parviennent à outrepasser la condition de l’expérience professionnelle québécoise, imposée par la majorité des recruteurs ».
Cet informaticien, déserteur de la Silicon Valley pour ses « terribles conditions de travail », participe activement dans le débat public et n’hésite pas à adresser ses critiques aux journalistes qui alimentent le sentiment islamophobe parmi les québécois. Mohamed ne manque pas de porter un regard critique sur sa communauté, laquelle manque de volonté selon lui, d’adopter certains codes culturels du pays d’accueil. Usant de son humour algérien, resté intacte, il relève les discontinuités dans le discours de la communauté laquelle revendique des changements au nom de la liberté. Une liberté qu’elle critique par ailleurs.
Cependant, le grand tournant dans la vie des musulmans du Québec demeure les attentats du 11 septembre avec le lot d’amalgames provoqués par la puissante machine médiatique américaine. Les anciens immigrants au Canada arrivent à situer quand et comment la société québécoise a commencé à leur tourner le dos, sous l’influence du discours des médias.