« Le tramway de Mostaganem sera en marche avec les Jeux olympiques de Qatar ! », plaisante, Salim, jeune taxi. En 2022, donc. Salim, comme les autres mostaganémois, se sont habitués aux travaux de ce tramway qui traînent depuis sept ans.
« Ils lancent les travaux, viennent pendant plusieurs jours, font beaucoup de bruit, puis disparaissent après. Des mois passent, et ils reviennent. Même mouvement. Même schéma. On ne sait jamais ce qu’ils font exactement. Là, vous voyez qu’ils sont entrain de refaie les quais… », témoigne, Fethi habitant du quartier La Salamandre où se trouve le terminus de la ligne 1 et le centre de contrôle et de la maintenance.
En 2013, le projet du tramway de Mostaganem est confié « clé en main » à un groupement composé du français Alstom(28 %) et de l’espagnol Corsan Isolux (Corsan-Corviam Construccion et Isolux Ingeniería) pour un montant initial de 250 millions d’euros. Les travaux devaient durer trois ans. Des retards inexplicables sont enregistrés dès les premiers mois.
Corsan Isolux, qui a construit pour 340 millions d’euros le tramway d’Oran, en exploitation depuis mai 2013, a obtenu aussi le marché du tramway de Constantine avec le français Alstom et l’algérien Cosider. A la fin 2016, des problèmes commencent à émerger. Isolux Corsan, qui est présent dans les cinq continents, enregistrait un endettement de 2,6 milliards d’euros et accusait des pertes annuelles de 1,3 milliards d’euros. En avril 2017, le groupe de construction et d’ingénierie espagnol déclarait « la faillite » après avoir été obligé de payer une amende de 151 millions de dollars en raison de non respect d’engagements contractuels en Bolivie. Il n’a pas achevé la construction d’une centrale hydroélectrique et d’une autoroute.
« La faillite », une ruse?
Ces difficultés financières ont entraîné l’arrêt des travaux du tramway de Mostaganem et de Constantine. Corsan Isolux, groupe fragile sur le plan financier, a décroché plusieurs projets en Algérie comme celui de la conduite de l’eau de l’usine de dessalement de Mostaganem (un investissement de 106 millions d’euros), de la station d’épuration d’El Bayadh, d’un hôpital à Draria et de la station d’épuration des eaux usées de Mohammadia.
Curieusement, la SARL Isolux Corsan Algérie possède depuis septembre 2013 une page sur Facebook qui ne contient aucune publication ! Des sous-traitants algériens se sont plaints de n’avoir pas été payés par le groupe espagnol. En 2015, le tribunal d’Alger a condamné Isolux Corsan à payer une amende de 5 millions de dinars dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest. D’autres entreprises ont également été condamnées dont le portugais Coba, le japonais Cojaal et le chinois Citic Crcc. En 2019, la Cour suprême a ordonné le réexamen de cette affaire. En mai 2017, Isolux Corsan demandait la résiliation du contrat d’aménagement du tracé du tramway de Mostaganem après plusieurs mises en demeure des autorités algériennes.
En 2020, certaines filiales d’Isolux Corsan sont toujours opérationnelles, citées dans le rapport sur le marché mondial de la construction. La déclaration de « la faillite » était-elle « une ruse » pour fuir les engagements contractuels? Qu’en est-il des autres projets d’Isolux Corsan en Algérie? Il n’existe aucune indication pour l’instant.
La fin des travaux prévue pour mars 2021
Dans un premier temps, une entreprise turque, en charge du tramway de Sidi Bel Abbes, et une société chinoise, qui construit le tramway d’Ouargla, ont été sollicitées pour reprendre le projet. Finalement, les travaux ont été confiés à Cosider, comme pour ceux de l’extension du tramway de Constantine sur 11 km, au début de 2018. Selon le contrat initial, le projet du tramway de Mostaganem devait être achevé le 15 janvier 2017.
Fin juillet 2019, l’ancien ministre des Travaux publics Mustapha Kouraba a annoncé que la réception et la mise en service du tramway de Mostaganem se fera à la fin du premier semestre 2020. Promesse non tenue. Fin juillet 2020, l’actuel ministre des Travaux publics Farouk Chiali a avancé une nouvelle date pour l’exploitation commerciale de ce tramway : mars 2021.
« Les entreprises chargées de la réalisation de ce projet de transport moderne de la ville de Mostaganem se sont engagées à livrer les tranches 1 et 2 au mois de novembre prochain et entamer les essais techniques avant la fin de 2020 », a-t-il précisé. Selon lui, les entreprises spécialisées dans les travaux publics disposent de l’expertise et de la compétence nécessaires pour relever les défis au niveau national et « sont à même de conquérir des marchés extérieurs, notamment africains, et avoir des commandes pour réaliser des projets similaires au niveau de ces pays ». Le ministre a annoncé avoir nommé un cadre supérieur de son département « pour assurer le suivi du restant des travaux et effectuer des visites sur les chantiers ». Le taux d’avancement des travaux d’aménagement de la plateforme, de pose des rails, d’installation des lignes et des infrastructures techniques aurait atteint 96 %.
« Si, on m’avait demandé mon avis, j’aurai dit non ! »
Le tramway de Mostaganem, qui aura deux lignes, s’étendra sur 14,2 km, doté d’un viaduc de 177 mètres et de trois passages souterrains. Disposant de 25 rames, le tramway passera par 24 stations avec une capacité maximale de transport de 5000 passagers par heure. La première ligne reliera le quartier côtier de la Salamandre au pôle universitaire de Kharouba en passant par le centre-ville. La seconde ligne reliera l’ancienne gare ferroviaire à la gare routière de la cité 5 juillet en passant par quartier Belkacem Benyahia.
Le projet inclut la création de 6 pôles d’échange bus-tramway et de 10 parkings. « Le jour où le tramway sera ouvert au public, je ferais une fête », plaisante Rafik, gérant d’une pizzeria. « Regardez, les agents en gilets oranges et jaunes travaillent presque chaque jour, y compris les week-end, comme s’ils sont sous pression. Comme d’habitude, on traine, on perd du temps avant d’accélérer le rythme pour achever les projets », regrette-t-il avant de s’intéresser aux commandes de ses clients.
Ahmed, retraité de l’éducation nationale, est peiné par le fait que le projet du tramway ait défiguré la ville de Mostaganem. « Si, on m’avait demandé mon avis, j’aurai dit non ! Mais, bon…Fallait-il avoir un tramway à Mostaganem? Ce débat n’a pas eu lieu. En plus, quelle est l’ampleur des pertes financières après les retards enregistrés dans le projet. On n’en saura probablement rien », dit-il avant de rejoindre la boulangerie située à deux pas de son appartement.