Le travail des enfants au vu et au su de tous!
Cela se passe à la rue Didouche Mourad. Une petite fille d’à peine 10 ans, assise sur la marche de l’étroite entrée d’un immeuble, des mouchoirs en papier à la main. Elle est à peine visible car cachée par la silhouette d’un homme qui semble lui poser des questions. La conversation dure quelques minutes. Il lui achète un paquet de mouchoirs en papier et s’en va.
Qu’est ce qui ne va pas dans cette situation? La question a été posée aux passants et ils ont répondu spontanément que ces enfants risquent d’être violés, kidnappés, utilisés pour faire des choses dangereuses. Ils se demandent également pourquoi ne sont-ils pas à l’école? Où sont leurs parents? Et les autorités concernées?
Le travail des enfants est un fléau qui interpelle et ne laisse pas les gens indifférents. Ces enfants victimes d’exploitations économiques sont partout; dans les marchés, dans les champs agricoles, sur l’autoroute, dans les plages pendant la saison estivale. Ils sont les travailleurs d’un marché informel difficile à contrôler.
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Ces dernières années, ils sont en nombre tout au long de la rue Didouche Mourad. Ils vendent aux passants des mouchoirs en papier, des épingles de nourrice et autres bricoles qui ne rapportent pas grand-chose.
Leurs âges varient entre 8 et 16 ans. Ces enfants et adolescents usent de multiples méthodes pour inciter les passants à leur acheter leurs petites choses. Ils récitent des invocations, disent qu’ils ont un parent malade en montrant une ordonnance ou encore qu’ils vendent ces bricoles pour s’acheter un sandwich.
Une petite fille passe d’une table à une autre dans un café à Place Maurice Audin demandes aux gens de lui donner de l’argent pour acheter les fournitures scolaires. Pour appuyer ses dires, elle leur montre une liste de fournitures. Elle dit avoir 8 ans et que sa mère n’est pas loin.
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« On les voit. Ils nous interpellent en nous suppliant de leur acheter des mouchoirs. Je ne veux pas leur acheter pour ne pas les encourager, mais au même temps je me dis que quelqu’un d’autre le fera donc autant le faire. Cela nous laisse perplexe car la situation est anormale », confie une passante.
Pour d’autres, certains adolescents qui s’adonnent à cette activité sont « insistants », et s’attirent les foudres des passants. Une jeune fille, d’un geste de la main, fait signifier au garçon qu’elle n’en voulait pas de ses mouchoirs. Celui-ci là suit un bout de chemin, et la contraint à changer de trottoir.
« Leur comportement est plus qu’incorrect. Ils insistent, te suivent et se permettent de vous mettre leur mouchoir dans le sac pour vous contraindre à les acheter. Être importunée de cette manière dans la rue est indescriptible », décrit la jeune fille.
Des aveux
Le réseau algérien pour la défense des droits de l’enfant NADA, de aout 2017 à février 2018, a mené une enquête sur le travail des enfants dans le marché informel, dans le cadre d’un programme qui vise à protéger les enfants de ce fléau.
Les enquêteurs se sont rapprochés des ces enfants et adolescent victimes d’exploitation économique pour comprendre les raisons qui les ont poussées à travailler.
Un adolescent raconte comment il a commencé à travailler à l’âge de 14 ans. Il se souvient que son voisin lui a demandé d’aller installer des kit main-libre, c’est comme ça qu’il a commencé à travailler.
Il confie que c’est plus intéressant de travailler à son compte car c’est plus rentable. « pendant que toi tu trimes toute la journée ton employeur se la coule douce et au final il te donne 1000 dinars alors que tu lui as apporté 30 000, ce n’est pas possible » dit-il.
Cet adolescent âgé de 16 au moment où le témoignage a été recueilli, parle avec une grande maturité. Il est conscient que cette situation n’est pas normale et dit « vouloir sortir de la »boue » ». Il conseille de ne pas emprunter ce chemin car il est « sans issue ».
Une maman, dont le fils ainé travaille, déplore cette situation mais se dit « impuissante » car l’environnement dans lequel évolue son enfant trouve la situation normale. « Nous habitons un quartier où tous les enfants travaillent. Même ceux qui ont six ans. Mon fils a appris à travailler avec les enfants du quartier et son père l’encourageait. Sa grand-mère me disait que des enfants plus jeunes que lui travaille. Quand son père est rentré en prison il a continué à le faire même les jours d’école », témoigne-elle.
L’avis des spécialistes sur le travail des enfants
Pour le sociologue Zoubir Arous, un enfant dans la rue sans tuteur est exposé à tous les dangers de l’espace public. Cette situation va impacter sa santé physique et mentale car selon lui, un enfant de 10 ans, n’a pas encore des facultés de discernement suffisamment mûres pour faire la distinction entre le bien et le mal, et va normaliser des situations dangereuses qu’il verra dans la rue et les reproduire.
« Nous sommes en train de former une génération de délinquants et d’aliénés. Ces enfants sont la proie facile des organisations de mal faiseurs, et suivront forcément le même chemin. La responsabilité et à tous les niveaux. A commencer par les tuteurs jusqu’aux responsables des institutions chargées de l’enfance », alerte le sociologue.
Pour sa part, l’avocat Foued Ghoulem Allah explique qu’il faut faire la distinction entre le travail des enfants et l’exploitation économique des enfants. Le code du travail algérien permet à un adolescent de 16 ans et avec l’accord de ses parents de travailler dans un marché formel. Soulignant qu’un enfant de 16 ans qui travaille dans l’informel ne rentre pas dans cette catégorie autorisée à travailler.
« La loi ne réglemente pas toutes les activités économiques qu’un enfant de moins de 16 ans peut effectuer dans l’économie informelle ou pour son propre compte d’où la difficulté d’agir », précise l’avocat.
La mise en place d’un cadre juridique qui inclurait les enfants qui travaillent dans l’informel est primordiale. Pour l’avocat, cela permettra aux enquêteurs de l’inspection du travail de mener des enquêtes et donner des chiffres réels sur la situation pour pouvoir ensuite agir.
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