Pour cette élection présidentielle américaine, particulièrement indécise, le vote des Arabes et des Musulmans d’Amérique s’est imposé comme un enjeu importants du débat politique. L’exercice électoral se déroule en plein cœur d’un contexte international extrêmement tendu, où la population palestinienne de Ghaza subit une violence inouïe, et le Liban est frappé par des bombardements israéliens incessants.
Cette situation a exacerbé la frustration et la colère au sein de la communauté arabe-américaine, particulièrement affectée par les événements du Moyen-Orient. Les électeurs arabes et musulmans aux États-Unis se trouvent dans une position de plus en plus complexe, tiraillés entre leurs attentes envers les partis politiques et leur désillusion face à l’inaction des dirigeants américains.
En Virginie, un État voisin de Washington D.C. où réside une large population arabe, les avis sur les deux principaux candidats sont profondément divisés. Nombreux sont ceux qui, déçus par l’incapacité des démocrates à mettre un terme à la destruction de Ghaza, ont décidé de ne pas se rendre aux urnes, se sentant trahis par un Parti démocrate qu’ils avaient soutenu par le passé. Ce sentiment de frustration est d’autant plus marqué que l’année écoulée a été marquée par une vague de violences et de répression envers les Palestiniens, sans que l’administration Biden ne prenne des mesures concrètes pour arrêter le massacre toujours en cours.
Malgré cette situation de mécontentement croissant, l’issue de l’élection présidentielle pourrait encore être influencée par le vote des communautés arabes et musulmanes, notamment dans des États clés où ces populations sont particulièrement présentes. Parmi ces États, le Michigan, la Virginie, la Géorgie, la Pennsylvanie et l’Arizona sont devenus des zones stratégiques pour les deux grands partis américains, qui tentent d’attirer le soutien de ces électeurs souvent négligés.
L’Arab American Institute, un groupe de défense des droits des Arabes américains, a d’ailleurs signalé une chute vertigineuse du soutien des Arabes américains au Parti démocrate. En 2020, ce soutien était de 59 %, mais il est tombé à seulement 17 % au début de l’année 2024. Cette défection est encore plus marquée parmi les Américains musulmans, dont le soutien au Parti démocrate a chuté de 70 % en 2020 à seulement 10 % fin 2023. Cette rupture montre l’ampleur de la déception au sein de ces communautés, déception qui ne semble guère préoccuper les dirigeants du Parti démocrate. En effet, contrairement aux puissants lobbies pro-Israël, les Arabes et Musulmans américains restent politiquement marginaux et n’ont pas un poids significatif pour influer sur les décisions du gouvernement.
Mahmoud, un journaliste algérien établi aux États-Unis depuis une quinzaine d’années, souligne la complexité de la situation électorale cette année. Il rappelle que lors de l’élection présidentielle de 2020, Joe Biden avait remporté l’État du Michigan avec une avance de 154 000 voix. Cet État abrite une communauté arabe et musulmane importante, comptant plus de 200 000 électeurs musulmans et environ 300 000 Américains d’origine moyen-orientale ou nord-africaine. Mais cette année, tout semble incertain, et rien ne garantit une réplique des résultats de 2020.
Le réalisateur et documentariste Michael Moore, qui s’est toujours montré un fervent défenseur des droits des minorités, a exprimé son inquiétude à travers une lettre adressée à Kamala Harris. Il lui a demandé de prendre une position claire contre la guerre en cours et de s’engager à mettre fin à la folie destructrice en cas de victoire démocrate. Dans cette lettre, Moore insiste sur le fait que les électeurs arabes et musulmans du Michigan ressentent une profonde douleur et un désespoir face aux massacres à Ghaza, en Cisjordanie et au Liban. Nombreux sont ceux qui ont perdu des proches dans ces régions, et beaucoup vivent dans la peur constante pour la sécurité de leurs familles. Ce climat de terreur et de souffrance, explique Moore, aura un impact majeur sur les élections, et il est crucial que les responsables politiques prennent conscience de cette réalité.
En 2020, le ticket Biden-Harris avait remporté près de 70 % des voix arabes-américaines dans le Michigan. Cependant, depuis le début de la guerre contre Ghaza, le soutien à Joe Biden a chuté de manière spectaculaire. Dans un sondage récent, seulement 12 % des Arabes américains de cet État se disaient prêts à voter pour lui, contre 70 % en 2020. Cette chute dramatique du soutien à Biden pourrait avoir des conséquences fatales dans un État comme le Michigan, où Hillary Clinton avait perdu en 2016 par une marge extrêmement étroite — seulement deux voix par district. Si Harris perdait ne serait-ce qu’une fraction de ces 140 000 voix qui l’ont soutenu en 2020, cela pourrait entraîner un revers électoral significatif, avertit Moore.
Il apparaît donc clairement que, pour de nombreux électeurs arabes et musulmans, l’élection présidentielle ne se limite pas à un simple choix partisan. Elle reflète un malaise profond vis-à-vis de l’attitude des États-Unis face à la guerre au Moyen-Orient, et surtout l’incapacité perçue des autorités américaines à protéger les droits humains dans cette région du monde.