L’affluence s’annonçait de nouveau faible dimanche en Tunisie au deuxième tour pour élire un Parlement privé de vrais pouvoirs, sur fond de divisions politiques depuis le coup de force du président Saied, et de difficultés économiques croissantes.
La participation est le principal enjeu de ces législatives après une abstention de près de 90% au premier tour le 17 décembre, un record depuis l’avènement de la démocratie dans le pays berceau du Printemps arabe il y a 12 ans.
A 15H00 (14H00 GMT), la participation s’est établie « à 7,73% » sur les 7,8 millions d’inscrits, a annoncé le président de l’autorité électorale Isie, Farouk Bouasker, en disant espérer qu’elle augmente d’ici la clôture à 18H00, « car les Tunisiens votent souvent en fin de journée ».
Ce ballotage pour 131 sièges (sur 161 députés) marque l’ultime étape des réformes imposées depuis 18 mois par le président Kais Saied pour revenir à un système hyper-présidentialiste, similaire à celui d’avant la révolution de 2011 et la chute du dictateur Ben Ali.
Jugeant le pays ingouvernable, M. Saied s’est emparé de tous les pouvoirs le 25 juillet 2021, puis a révisé la Constitution l’été dernier pour abolir le système parlementaire hybride en vigueur.
« Pas confiance »
Malgré des SMS électoraux et des débats à la télévision, les experts prévoient encore une faible affluence. Divisée en trois blocs, l’opposition dont Ennahdha, le parti d’inspiration islamiste qui dominait le Parlement sur la dernière décennie, boycotte un scrutin qui illustre, selon elle, une « dérive dictatoriale ».
Autre facteur de démotivation: la majorité des candidats sont inconnus et toute affiliation politique est interdite. « Je n’ai pas confiance dans la classe politique. Saied pouvait faire un changement radical. Il (…) n’a rien fait », déplore Omrane Dhouib, un boulanger abstentionniste de 37 ans interrogé à Tunis.
A l’inverse, Belhassen Ben Safta, chauffeur de taxi de 60 ans, a voté pour ne « jamais laisser à l’ancien système (Ennahdha) la possibilité de revenir. Ils sont responsables de notre misère ». Croisé dans un centre de vote de Kasserine (sud-ouest), Mokhtar Hermasi, 45 ans, entend « accomplir (son) devoir électoral » en dépit d' »une campagne fade ».
Le chef du bureau électoral dit avoir vu la participation s’intensifier au fil de la journée tout en constatant surtout une présence de personnes âgées. A Gafsa, une centaine de km plus au sud, Mohamed Tlijani et Ali Krimi, deux quinquagénaires, sont venus voter pour un cousin. « Le processus électoral est devenu épuisant mais nous voulons qu’il gagne », estime M. Krimi.
Selon des experts, une partie de la population, partageant l’aversion de M. Saied pour les partis politiques, approuve sa limitation des pouvoirs du futur Parlement. Celui-ci pourra très difficilement renverser le gouvernement et il lui sera impossible de destituer le président.
Plongeon du pouvoir d’achat
L’attention des 12 millions de Tunisiens est ailleurs. « Je ne vote jamais. Tous les secteurs économiques souffrent et Saied ne s’y intéresse pas », dénonce Mohamed Abidi, un serveur de 51 ans à Tunis. Les Tunisiens voient leur pouvoir d’achat plonger avec une inflation supérieure à 10% et affrontent des pénuries de denrées subventionnées comme le lait, le sucre ou l’huile.
Pour les économistes, ces pénuries s’expliquent par des ruptures d’approvisionnement car l’Etat manque de liquidités pour régler ces achats centralisés.
La croissance est poussive (moins de 3%), le chômage élevé (plus de 15%), la pauvreté s’accroît et plus de 32.000 Tunisiens ont émigré clandestinement l’an passé. Motif d’inquiétude supplémentaire: des négociations avec le FMI pour un prêt de 1,9 milliard de dollars, clef d’autres aides étrangères, piétinent depuis des mois.
L’agence de notation américaine Moody’s a dégradé d’un nouveau cran samedi la note de la dette tunisienne jugeant « plus élevé » le risque de non remboursement de certains emprunts. Le blocage des pourparlers vient, selon les experts, de désaccords entre le président Saied et son gouvernement sur le programme proposé pour obtenir le crédit du FMI.
M. Saied hésite, selon eux, à adopter des réformes impopulaires comme la levée des subventions sur les produits de base et une restructuration des entreprises publiques surendettées et aux effectifs pléthoriques.