Noureddine Boutar, directeur général de la radio tunisienne privée Mosaïque FM, a été arrêté dans la soirée de lundi 13 février 2023, selon son avocate.
« Noureddine Boutar a été arrêté chez lui, vers 20h, sans mandat d’arrêt. Une vingtaine de policiers sont venus fouiller la maison sans violence avec un mandat de perquisition. La fouille a duré près de trois heures. Visiblement, ils ne savaient pas exactement ce qu’ils cherchaient, comme s’ils étaient en quête d’une accusation », a déclaré Dalila Msaddak, avocate de Noureddine Boutar, lors d’une interview accordée à la radio.
Le directeur de Mosaïque FM a été conduit à la caserne de police El Gorjani (ex-Saussier) à Tunis. « J’ai demandé aux policiers si mon mandant était arrêté, ils m’ont dit non. Est-il en liberté ? même réponse, non. Je leur ai dit qu’il n’y a pas de troisième voie. Ils l’ont interpellé en violant la loi. Je voulais savoir ce qu’on reprochait à Noureddine, pas de réponse. J’ai vu le dossier, il n’y avait qu’un seul document, le mandat de perquisition. J’ai mentionné dans le rapport d’interrogatoire que mon mandant n’a pas été informé de l’accusation qu’on lui portait », a-t-elle détaillé.
« Des questions sur la ligne éditoriale » de la radio
Selon l’avocate, les questions des policiers portaient sur les conditions de création de Mosaïque FM, son capital, son chiffre d’affaires et ses actionnaires. « Le DG de la radio a précisé que Mosaïque FM était une société anonyme soumise à un contrôle régulier du commissaire aux comptes. Les questions ont porté ensuite sur les biens que possède Noureddine Boutar. Il a répondu que tous les biens sont déclarés au niveau de l’Autorité chargée de lutter contre la corruption et de l’Inspection des finances. Il a indiqué que ses entrées à travers Mosaïque FM étaient facilement traçables », a détaillé Dalila Msaddak.
Et d’ajouter : » on lui a posé aussi une question, que j’ai trouvé curieuse, pour savoir qui définissait la ligne éditoriale de Mosaïque FM. Il a répondu par dire que la radio a une charte éditoriale élaborée par les journalistes en présence d’un représentant de l’Unesco. Il a indiqué qu’il n’intervient que pour un recadrement en cas de dépassement ou de faute ».
Elle a précisé que l’enquêteur a posé aussi des questions sur les chroniqueurs de la radio et sur le contenu de ce qu’ils disaient à l’antenne. « Noureddine Boutar a répondu par souligner qu’il ne dictait pas aux chroniqueurs ce qu’ils devaient dire et que l’information était sacrée et le commentaire libre », a-t-elle noté.
« Aucune question politique »
Selon elle, la police n’a pas à poser des questions sur la ligne éditoriale d’un média. « Même après l’interrogatoire, aucune accusation n’a été portée contre Noureddine Boutar ou peut être qu’ils ont déjà une dans leurs têtes ou qu’ils ont des données qu’ils n’ont pas noté dans le dossier. J’en sais rien. J’ai l’impression qu’il y a un problème avec Mosaïque FM et qu’ils ont décidé d’intimider son directeur. Aucune question politique ne lui a été posée ou sur des liens avec d’autres personnalités. Il est maintenu en garde à vue sans aucune base (pendant 48 heures renouvelables une fois) », a relevé Dalila Msaddak.
Elle a rappelé que l’Etat tunisien est actionnaire à 13 % de Mosaïque FM. Cette radio est la plus écoutée en Tunisie avec des émissions et des débats politiques, sociaux, économiques et culturels sur la Fréquence modulée (FM) ou sur les plateformes numériques.
Le collectif de Mosaïque FM a dénoncé l’arrestation du directeur général et s’est dit surpris par la tournure que prend l’affaire. « La famille Mosaïque FM respecte le travail de sécurité légale et le judiciaire indépendant, mais déplore et dénonce vivement le processus d’intimidation et d’arrestation arbitraire visant à porter atteinte à l’indépendance de la radio et à la liberté de travail journalistique, notamment au vu de la précédente campagne de diabolisation de la radio et de tous ses employés, par des parties connues » est-il souligné dans une déclaration mise en ligne sur le site de la radio.
Le collectif de Mosaïque FM, qui demande à mettre fin au « harcèlement » de la radio, précise que la décision de mettre aux arrêts Noureddine Boutar « est liée à la ligne éditoriale de la radio et à sa gestion, et n’a rien à voir avec la question du complot contre la sûreté de l’État telle qu’elle a été présentée ».
Ces derniers jours, les services de sécurité tunisiens ont arrêté plusieurs personnalités dont Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice et vice-président du parti islamiste Ennahdha, Kamel Eltaïef, homme d’affaires, proche de l’ancien président Zine Al Abidine Benali, et Khayam Turki, ancien ministre des finances et opposant. Ces personnalités, selon les médias tunisiens, sont soupçonnées de fomenter « une complot contre la sûreté de l’État ».