L’homme d’affaires et ex-candidat à l’élection présidentielle, Nabil Karoui est de nouveau mis en détention en Tunisie. Ce jeudi 24 décembre 2020, le juge d’instruction près le pôle judiciaire économique et financier de Tunis a convoqué le patron de la chaîne Nessma TV pour une audition à propos d’une affaire de « blanchiment d’argent » et « d’évasion fiscale ». Il a décidé de le mettre sous mandat de dépôt, selon l’agence TAP.
Le président du parti Qalb Tounes, deuxième formation au Parlement tunisien, avait été arrêté le 23 août 2019 pour la même affaire avant d’être libéré, le 9 octobre 2019, en plein campagne pour l’élection présidentielle, sur décision de la Cour de cassation. Malgré sa mise en détention, la candidature de Nabil Karoui a été maintenue. L’élection a été remportée par Kaïs Saïed et l’enquête judiciaire visant l’homme d’affaire s’est poursuivie.
En 2016, l’organisation anti-corruption « I Watch » a déposé une plainte contre Nabil et Ghazi Karoui pour « suspicion de blanchiment d’argent » en lien avec leurs sociétés activant en Algérie, au Maroc, aux Emirats arabes unis et au Luxembourg. I Watch a révélé, dans un rapport publié le 10 juillet 2016, que Nessma Broadcast SARL, propriétaire de la chaîne Nessma, avait un découvert bancaire au niveau de la Banque de l’Habitat (BH) et des dettes envers l’Office national de télédiffusion (ONT)
. « Comment la BH a-t-elle laissé cette société atteindre un découvert équivalent à deux fois et demi son capital social ? Ou encore, comment se fait-il qu’en 2011, la chaîne télévisée qui s’est emparée de la part la plus importante du marché de publicité, dépassant de loin tous ses concurrents ne parvient pas à couvrir son découvert bancaire ? », s’est interrogé l’organisation.
Soupçons d’évasion fiscale
Elle a découvert aussi que deux autres sociétés des frères Karoui, Nessma SA et Karoui & Karoui Luxe SA, étaient enregistrées au Luxembourg, un pays porté depuis 2013 sur « la liste grise » des paradis fiscaux, établie par l’OCDE, Organisation de coopération et de développement économiques.
«Le groupe Karoui & Karoui n’était pas seulement un ensemble de sociétés enregistrées dans les pays du Maghreb, puisque nous avons découvert après plusieurs investigations que ces sociétés ne sont qu’une partie d’un vaste réseau de structures financières (et de flux financiers) partant de Tunis et arrivant au Luxembourg en passant par Dubaï », a relevé I Watch. « Nous avons pu établir les liens entre la majorité des sociétés que nous avons identifiées comme appartenant à l’empire Karoui&Karoui à l’exception de quelques-unes comme « Karoui & Karoui International Limited » enregistrée au Canada, « Karoui & Karoui International », inscrite en Tunisie et « Nessma Limited » domiciliée à Dubaï », poursuit l’organisation.
Celle-ci a appelé le ministère des finances tunisien à user de tous les moyens légaux, « y compris la perquisition de documents », pour faciliter la vérification de la situation fiscale de la chaîne Nessma et à interdire l’utilisation de montages financiers abusifs « permettant de réduire l’impôt dû à l’État et d’obliger les sociétés ayant des personnes morales domiciliées dans des paradis fiscaux ou des juridictions à forte opacité financière comme actionnaire à déposer l’ensemble de leur schéma ».
Bras de fer entre Kaïs Saïed et Nabil Karoui
Après la mise en détention de son frère Nabil, Ghazi Karoui aurait pris la fuite vers l’Algérie, en août 2019, selon la radio Mosaïque FM qui n’a pas fourni plus de détails. Nabil Karoui avait accusé les islamistes d’Ennahdha d’avoir « organisé » sa mise en détention l’été 2019. Des mois plus tard, Ennahdha est devenu un allié politique de Qalb Tounes à l’Assemblée des représentants du peuple (Parlement).
Selon le journal La Presse, un conflit politique oppose depuis quelques semaines Nabil Karoui à Kaïs Saïed. Le quotidien rapporte que Qalb Tounes a menacé de « retirer la confiance » au président de la République, en s’appuyant sur son alliance avec le mouvement Ennahdha. Qalb Tounes fait pression aussi pour retirer les ministres désignés par Kaïs Saïed dans le gouvernement Hichem Mechichi, nommé en septembre 2020.
Sans citer Nabil Karoui, Kaïs Saïed a déclaré qu’il allait dévoiler toute la vérité aux tunisiens concernant ceux « qui se sont jetés dans les bras du sionisme et du colonialisme ». En octobre 2019, un site américain a révélé que Nabil Karoui avait signé un contrat d’un million de dollars avec la société canadienne de lobbying Dickens and Madson, dirigée par un ancien officier du Mossad israélien, Ari Ben Menashe, pour faire de « l’influence » en sa faveur dans les cercles de décision russes, européens et nord-américains à l’occasion de l’élection présidentielle. Une enquête a été ouverte par les autorités sur cette affaire.
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